Article – Prestations médicales croisées en GCS, qui est responsable à l’égard du patient?
Kelly Vang, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH
Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n° 638 – octobre 2024
Les établissements publics de santé peinent à recruter et à fidéliser leurs professionnels médicaux. Face à ces problématiques de démographie médicale, ils déploient de plus en plus de mécanismes ingénieux, parfois originaux, pour attirer les médecins : coopérations, conventions… Mais en cas de dommages causés aux patients, qu’en est-il de la responsabilité de l’établissement ou du médecin libéral ? La prise en charge relève-t-elle de l’activité publique ou privée du praticien ?
La coopération avec les professionnels libéraux permet aux établissements publics de santé de pallier en partie leurs problèmes d’offre de soins, et leur présence à l’hôpital, de plus en plus sollicitée, est permise par différents dispositifs juridiques. De la simple convention aux coopérations plus structurantes comme les groupements de coopération sanitaire (GCS), les établissements disposent d’une palette d’outils, plus ou moins adaptés. Toutefois, même si les textes peuvent être clairs sur certains points, ils ne suffisent pas à dénouer des situations qui peuvent s’avérer complexes, notamment sur la question de la responsabilité de chacune des parties.
Nous analysons ici deux arrêts rendus par les cours administratives d’appel de Nantes [1] et Bordeaux [2], dont le premier retiendra la responsabilité seule du médecin libéral, le second celle de l’établissement. De ces arrêts, on peut conclure qu’une jurisprudence développée par les juges du fond tend à se dessiner afin de délimiter les responsabilités des différents acteurs.
Dans le récent arrêt d’avril 2024, le centre hospitalier avait constitué un GCS ayant pour objet des prestations médicales libérales au sein de l’hôpital (souvent appelées « prestations médicales croisées ») et conclu en conséquence un contrat d’exercice libéral avec un médecin. Ce contrat stipulait notamment qu’il ne pouvait être requalifié en contrat d’exercice salarié, que l’exercice du médecin au sein de l’établissement était à titre libéral et qu’il exerçait son art sous sa propre responsabilité.
Dans le cadre de cette activité libérale exercée au sein de l’établissement public, une patiente prise en charge par le médecin libéral a souhaité engager la responsabilité de l’établissement en ce qu’elle estimait que les liens entre elle et le professionnel relevaient du droit public.
En l’espèce, les juges nantais n’ont pas retenu la responsabilité de l’établissement. Afin d’engager sa responsabilité, il aurait fallu démontrer, même partiellement, un défaut dans l’organisation ou le fonctionnement du service public hospitalier, résultant notamment d’une mauvaise installation des locaux, d’un matériel défectueux ou d’une faute commise par un membre du personnel auxiliaire de l’hôpital mis à la disposition du professionnel libéral.
À titre d’exemple, nous pouvons citer le second arrêt, rendu par la cour administrative d’appel de Bordeaux en mars 2023, dans lequel les juges ont adopté la même interprétation. En l’espèce, une patiente admise à la maternité du centre hospitalier a été prise en charge par un praticien libéral participant au service public hospitalier (SPH).
L’établissement avait constitué avec une association de praticiens libéraux un GCS de prestations médicales croisées afin de permettre la participation des praticiens libéraux au SPH dans le respect de leur statut libéral. La convention constitutive du GCS prévoyait ainsi :
- que le centre hospitalier était responsable des dommages causés aux usagers à l’occasion des soins pratiqués en son sein, y compris par les praticiens libéraux ;
- que le praticien libéral qui exerce en toute indépendance, était seul responsable à l’égard de l’hôpital des dommages liés aux actes effectués sur les usagers du service public. Dans ce cas, le centre hospitalier gardait la possibilité de se retourner contre le médecin libéral par le biais d’une action récursoire.
Dans l’affaire bordelaise, les expertises ont démontré que les actes pratiqués par le médecin libéral avaient été correctement effectués. En revanche, la dégradation de l’état de santé de la patiente pouvait être attribuée, d’une part aux erreurs commises par l’anesthésiste-réanimatrice, agent public de l’établissement, d’autre part à un défaut d’organisation du service, notamment lié à un manque d’appareil.
Ainsi, la cour administrative d’appel de Bordeaux a considéré que le dommage causé à la patiente était intégralement lié aux fautes commises par l’établissement, ce qui a permis de retenir sa responsabilité.
De ces arrêts, plusieurs éléments ressortent, sur lesquels les établissements doivent être vigilants : la détermination du lien privé ou public entre le patient et le praticien, la loi des parties et la défaillance de l’établissement.
La nature du lien juridique entre le patient et le professionnel
Avant même d’étudier les conventions passées entre les parties, il faut déterminer la nature juridique du lien créé entre le professionnel médical et le patient. À ce titre, une décision du Tribunal des conflits du 7 juillet 2014 [3] a rappelé le principe selon lequel lorsqu’un praticien prend en charge un patient dans le cadre de son activité libérale, les relations entre le médecin et le patient relèvent du droit privé.
De plus, quand bien même la politique de santé publique incite à la coopération entre le privé et le public, un praticien hospitalier amené à effectuer des actes au sein d’une structure privée ne le place pas « en dehors du SPH ». En effet, s’il exerce en tant que praticien hospitalier, même sur une patientèle privée et dans des locaux privés, son statut demeure public. Ainsi, le lien entre le médecin et le patient demeure de droit public.
Enfin, la circonstance que le GCS soit une personne morale de droit privé ou public n’a aucune incidence sur la détermination de la nature du lien entre le patient et le médecin. Cette dernière est déterminée à partir du statut du professionnel au moment de son intervention (libéral ou hospitalier)
La loi des parties
Divers outils juridiques permettent l’intervention des professionnels libéraux au sein des établissements publics de santé sur la patientèle hospitalière. Dans le cadre de ces coopérations, les dispositions du Code de la santé publique (CSP) ne sont pas les seules à s’imposer aux parties. En effet, ces dernières sont également tenues par la loi des parties, soit par les dispositions prévues par les conventions et contrats les liant.
Tout d’abord, rappelons que le premier outil évoqué par ces arrêts est le contrat d’exercice libéral prévu par l’article L.6146-2 du CSP. Il doit notamment fixer les conditions et modalités de participation des médecins libéraux aux missions de l’établissement.
Le second dispositif est le GCS de prestations médicales croisées prévu par l’article L.6133-6 du CSP. Dans ce cas, les conditions d’intervention des professionnels libéraux sont inscrites dans la convention constitutive [4].
Ainsi, les textes ne suffisent pas à déterminer le régime de responsabilité applicable à la coopération. Il est impératif d’adopter une rédaction fine et précise de la convention constitutive dans le cas d’un GCS, ou du contrat d’exercice libéral. Par exemple, les juges nantais ont écarté la responsabilité du centre hospitalier bien que le dossier médical de la patiente ait été tenu et transmis par lui. Cet élément était sans conséquence sur le lien entre le médecin libéral et la patiente, lien qui demeurait de nature privée. Pour ce faire, la cour s’est référée au contrat d’exercice libéral qui prévoyait expressément que la conservation du dossier serait faite par le centre hospitalier, sans incidence sur le lien établi entre le patient et le médecin.
Dans les arrêts cités, les juges ont pu engager ou non la responsabilité de l’établissement public, selon les dispositions prévues par les conventions. Attention néanmoins, les parties à la coopération ont souhaité doubler leurs supports juridiques en complétant leur GCS par des contrats d’exercice libéral. De tels contrats doivent rester cohérents dans leur rédaction et ne pas inscrire de dispositions qui pourraient être contradictoires avec la convention constitutive ou le règlement intérieur du groupement. Il ne suffit pas de pré- voir la répartition des responsabilités entre les parties, celle-ci doit également être claire et précise.
La défaillance de l’établissement
Afin de déterminer la responsabilité de l’une ou l’autre des parties, les juges du fond ont utilisé la méthode du faisceau d’indices. Tout d’abord, ils ont rappelé que le seul fait que les consultations et les actes ont été effectués dans les locaux du centre hospitalier ne suffit pas à engager la responsabilité de celui-ci. Ainsi, la localisation n’induit pas la qualification du lien juridique entre les patients et le praticien, ni la responsabilité de la structure d’accueil du patient.
En revanche, il est nécessaire de démontrer une défaillance du service public hospitalier pour engager la responsabilité du centre hospitalier dans le cadre d’une prise en charge d’un patient par un médecin libéral dans les locaux de l’établissement. Cette défaillance peut notamment relever de l’organisation ou du fonctionnement du service, des locaux ou de maté- riels défectueux. Il en va de même dans le cas d’une faute commise par un personnel hospitalier mis à la disposition du médecin.
Ainsi, malgré les stipulations des conventions passées entre un établissement public et des médecins libéraux, l’établissement peut toujours engager sa responsabilité, notamment lorsque les dommages peuvent lui être imputés, totalement ou partiellement.
Le même raisonnement peut être adopté lorsque, inversement, les médecins en cause sont des praticiens hospitaliers intervenant sur des patients d’une clinique privée dans le cadre des prestations médicales croisées prévues par un GCS. En effet, la décision précitée du Tribunal des conflits de 2014 avait déjà déterminé que le défaut d’organisation du service ou la défectuosité du matériel mis à disposition par l’établissement, public ou privé, était déterminant et pouvait exonérer de sa responsabilité le praticien [5].
Conclusion
Le GCS de prestations médicales croisées et le contrat d’exercice libéral sont deux outils sécurisants qui permettent de formaliser les liens entre un établissement public de santé et les praticiens libéraux, si toutefois ceux-ci sont correctement rédigés. Dans ce cas, le juge fera application de ce qui a été prévu par « la loi des parties », soit les dispositions prévues entre elles. En revanche, cela n’exonère pas totalement l’établissement, public ou privé, en ce qu’il peut toujours engager sa responsabilité, notamment dans le cas où il peut être démontré une désorganisation ou un mauvais fonctionnement du service ou si son personnel a commis des fautes, qu’il ait été mis à la disposition du médecin libéral ou non.
NOTES
[1] CAA Nantes, 3e chambre, 12/04/2024, n°23NT01120
[2] CAA Bordeaux, 2e chambre, 02/03/2023, n°ZIBX00410
[3] Décision Tribunal des conflits,7 juillet 2014, n°3951
[4] Article R.6133-1 du CSP
[5] Décision Tribunal des conflits, 7 juillet 2014, n°3951