La réécriture de l’article du code de la santé publique sur l’isolement et la contention en psychiatrie dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021
Aude Charbonnel et Isabelle Génot-Pok, juristes, consultantes au Centre de droit JuriSanté du CNEH
L’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021 (LFSS) réécrit l’article L3222-5-1 du code de la santé publique concernant l’isolement et la contention en psychiatrie, après la censure du Conseil Constitutionnel en juin 2020[1].
Pour rappel, les Sages ont souligné dans leur décision que si le législateur en 2016[2] a bien prévu que le recours à l’isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a en revanche pas fixé cette limite[3] ni prévu les conditions dans lesquelles, au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire (https://www.cneh.fr/blog-jurisante/publications/psychiatrie-et-sante-mentale/isolement-contention-confinement-strict-en-chambre-lactualite-sur-la-privation-de-liberte-en-psychiatrie/).
Une abrogation immédiate de l’article L3222-5-1 du code de la santé publique aurait entraîné des conséquences manifestement excessives puisqu’elle aurait fait obstacle à toute possibilité de placement à l’isolement ou sous contention des personnes admises en soins psychiatriques sous contrainte. Par conséquent, le Conseil Constitutionnel avait reporté la date de l’abrogation au 31 décembre 2020. Il y avait donc urgence à ce que l’article soit modifié.
Mais on peut s’étonner de trouver un tel texte dans une loi de financement de la sécurité sociale. En effet, aux termes de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ». Certains observateurs ne manqueront pas de dénoncer un cavalier social. En outre, fait étonnant cette LFSS n’a pas été transmise au Conseil Constitutionnel pour le traditionnel contrôle a priori de constitutionnalité ! Par conséquent, doit-on redouter une nouvelle censure des Sages sur ce dispositif juridique d’isolement et de contention en soins sous contrainte ?
Deux décrets d’application en Conseil d’Etat sont attendus pour préciser certaines conditions d’application de ce nouvel article L3222-5-1 du code de la santé publique, ainsi que des articles L3211-12-2 et L3211-12-4 du même code, également impactés par l’article 84 de la LFSS.
Nous vous proposons d’ores et déjà les points essentiels à retenir, un tableau de synthèse et un comparatif des textes.
Points essentiels :
Sur les mesures d’isolement et de contention
– Seuls sont concernés par l’isolement et la contention les patients en hospitalisation complète sans consentement[4] ;
– Sur décision motivée du psychiatre ;
– Décision prise de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ;
– Avec une surveillance stricte somatique ET psychiatrique ;
– Et une traçabilité dans le dossier médical du patient (outre le registre).
Sur la durée de l’isolement et de la contention (cf. tableau de synthèse ci-dessous)
– La mesure d’isolement est prise pour une durée maximale de 12 heures[5] ;
– Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de 12 heures, dans la limite d’une durée totale de 48 heures ;
– La mesure de contention est prise dans le cadre d’une mesure d’isolement pour une durée maximale de 6 heures ;
– Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de 6 heures, dans la limite d’une durée totale de 24 heures ;
– A titre exceptionnel, le psychiatre peut renouveler, au-delà de ces durées totales.
Sur le contrôle du juge
– Le juge des libertés et de la détention (JLD) est informé sans délai par le médecin en cas de renouvellement au-delà des durées totales fixées par le texte + information du patient, de son entourage et du Procureur de la République [6] ;
– Le JLD peut alors se saisir d’office ou être saisi par le patient ou son entourage ou le Procureur de la République ;
– En cas de saisine, il statue dans un délai de 24 heures ;
– Le JLD statue sans audience selon une procédure écrite;
– Le patient ou le demandeur peut demander à être entendu par le JLD, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement;
– L’audition du patient ou du demandeur peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle[7] ou, en cas d’impossibilité avérée, par communication téléphonique, à condition qu’il y ait expressément consenti. L’audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n’y fait pas obstacle;
– Les mesures d’isolement et de contention peuvent faire l’objet d’un contrôle par le JLD dans le cadre de son contrôle systématique à 12 jours ou à 6 mois de l’hospitalisation complète.
Tableau de synthèse
Tableau comparatif
Conclusion:
A la lecture de l’article 84 de la LFSS, on a le sentiment que le nouveau dispositif ne va plaire ni aux médecins puisque c’est sur eux que pèse l’information au JLD en cas de renouvellement des mesures d’isolement et de contention au-delà des durées maximales prévues – alors qu’il y a une pénurie de psychiatre en France -, ni aux associations d’usagers qui souhaitaient voir instaurer un contrôle systématique et obligatoire de toutes les mesures d’isolement et de contention. Par ailleurs, on peut craindre que le JLD ne puisse effectuer un contrôle de qualité et se transforme en chambre d’enregistrement. Enfin, LA grande question : qu’en penserait le Conseil Constitutionnel ?
Attendons les décrets d’application… et un éventuel recours! Mais en tout état de cause, il demeure un vide juridique pour les cas particuliers qui n’entrent pas dans le dispositif : quid de l’isolement et de la contention pour les patients en soins libres dans un contexte de crise aigüe ou de façon séquentielle ?
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Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à consulter le site internet du CNEH (www.cneh.fr) ou contacter Nadia Hassani, assistante du Centre de droit JuriSanté, (01 41 17 15 43 – nadia.hassani@cneh.fr).
[1] Décision du Conseil constitutionnel n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020
[2] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
[3] C’est la Haute Autorité de Santé qui dans ses recommandations de février 2017 sur l’isolement et la contention en psychiatrie a fixé des durées
[4] Quid de la contention hors isolement ?
[5] A noter qu’il s’agit de délais horaires impératifs
[6] Sans délai = immédiatement. Réflexion nécessaire sur la procédure d’information. Quid du week-end ?
[7] A noter que le recours à la visioconférence n’est plus possible depuis la loi du 27 septembre 2013 dans le cadre du contrôle systématique du JLD de l’hospitalisation complète… (hors situation sanitaire exceptionnelle)