Billet d’humeur – Quid du respect des droits des patients admis en soins sans consentement dans l’arrêt de la Cour de cassation du 10 février 2021 (n°19-25.224) ?
Isabelle Génot-Pok, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH
Voici un arrêt de la cour de cassation qui soulève trois points essentiels de la procédure[1] de prise en charge du patient en soins sans consentement
Dans cette affaire, un directeur d’un établissement de santé mental avait admis une patiente en soins psychiatriques sur péril imminent immédiatement après la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) ayant ordonné la mainlevée de son hospitalisation sans consentement. Cette démarche avait été validée par le juge de 1ère instance, puis la Cour d’appel. La patiente avait donc formé un pourvoi devant la Cour de cassation.
Les arguments de l’avocat de la patiente portaient un raisonnement assez strict selon lequel : « une telle (ré)admission a été prononcée dans le but d’éviter les effets de l’exécution de l’ordonnance de mainlevée ainsi que du rejet de la demande d’effet suspensif de l’appel, et constitue un détournement de procédure portant atteinte aux droits fondamentaux de la patiente, notamment à son droit à la liberté et à la sûreté ainsi que son droit au respect de la vie privée ;… « que la possibilité de reprendre des soins immédiatement après la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation [d’office] est régie par l’article L. 3211-12-5[2] du code de la santé publique, qui prévoit la reprise des soins sous une forme excluant l’hospitalisation complète, et seulement dans le cas où la mainlevée de la mesure d’hospitalisation a été acquise en raison de l’expiration du délai dans lequel le juge des libertés et de la détention doit statuer sur la mesure ; qu’aucun texte ne permet au directeur d’un hôpital de reprendre une décision d’admission en hospitalisation complète dès la mainlevée d’une telle mesure ordonnée par le juge des libertés et de la détention ». Toutefois, la Cour de cassation, précise que le directeur d’un établissement de santé mental peut, à la suite d’une décision de mainlevée, décider de réadmettre une personne en hospitalisation complète dans le cas d’un certificat de péril imminent, dès lors que les conditions de l’article L. 3212-1, II, 2[3] du code de la santé publique (CSP), sont remplies. Par cette décision, la Cour apporte des précisions sur l’autonomie des mesures de soins sans consentement consécutives l’une à l’autre. En effet, selon son interprétation, une seconde mesure peut être prise à la suite de la mainlevée de la précédente, sans qu’un nouvel évènement (de santé) ne soit intervenu pour justifier d’un péril imminent (SPPI) ou d’une urgence (SPDTU). L’erreur de procédure qui oblige le magistrat à lever une mesure sans proposition d’un programme de soins – à savoir une levée sèche – n’empêche pas une nouvelle admission d’un patient dans « la foulée » si les conditions juridiques (certificat médical) et les motifs médicaux spécifiques (du SPPI) respectent les conditions de l’article L3212 II, 2°[4] du CSP.
Ainsi, la Cour pose le principe de l’indépendance des mesures successives. Cependant, il faut être critique à l’égard de cet effet strictement juridique au regard du risque que cela peut entrainer pour le patient, dont les droits ne seraient pas respectés (via le respect de la procédure) : le juge décide de la levée de cette mesure et finalement une nouvelle mesure peut être prise dans la foulée. Cette dernière remarque ne pourrait-elle pas avoir pour effet d’atténuer la portée de la décision du juge ? Au fond, tant pis s’il y a une levée pour faute dans la procédure puisque l’on peut réadmettre le patient. Or, une levée sèche est la résultante d’une violation grave des droits de la personne prise en charge. Il n’est pas certain que cette décision rende plus consciencieux les professionnels quant au respect la procédure mise en place depuis 2011, dont le but principal est justement de préserver et de justifier des soins sans consentement, mesure, rappelons-le[5] hautement restrictive des libertés individuelles, et de ce fait, de faire respecter les droits du patient aux soins nécessaires correspondant à son état de santé mental.
Le risque de provoquer un glissement de pratiques, du fait d’une certaine inutilité de la procédure non respectée et du contrôle du juge sans trop de conséquences, est à envisager. Il est important de préciser que si la cour de cassation admet qu’il y ait réadmission après une ordonnance de mainlevée du JLD, cette décision ne doit pas constituer un mode de détournement de procédure de prise en charge et de remise en cause de l’autorité judiciaire autrement de la chose jugée[6].
Attention à ne pas confondre réintégration – réhospitalisation et réadmission !
- Réintégration = changement de forme de prise en charge (article L3211-11 du CSP). Le patient en programme de soins est réhospitalisé à temps complet sur la base d’un certificat médical et d’une décision administrative (du directeur ou du préfet).
- Réadmission = reprise à zéro d’une nouvelle mesure de soins sans consentement : (certificat(s) initial(aux), le cas échéant la demande de tiers et la décision administrative (du directeur ou du préfet).
- Le terme réhospitalisation est régulièrement utilisé pour désigner l’une ou l’autre des deux situations, ce qui créé d’autant plus de la confusion.
Par ailleurs, la Cour donne d’autres précisions dans sa décision, qui doivent être relevées. Elle rappelle qu’une mainlevée complète de la mesure ne peut être prononcée qu’en cas de violation grave des droits du patient et non pour une simple irrégularité de forme[7]. La haute juridiction exige donc la démonstration d’une atteinte aux droits de l’intéressé pour obtenir la mainlevée à la suite d’une irrégularité dans la procédure. Il semble, cependant, que les arguments de l’avocat de la patiente n’aient pas suffit à convaincre la Cour.
Enfin, la Cour rappelle la possibilité de joindre le certificat médical d’admission en soins sans consentement dès lors que la décision du directeur ne reprend pas les éléments médicaux motivant l’admission. Ainsi, il est clair que le directeur ou son représentant n’a aucune obligation à de reprendre les motifs médicaux du certificat dans le corps même de la décision administrative, ce qui doit à notre sens le rester. La décision peut viser le certificat médical initial ainsi que les autres documents obligatoires selon la modalité de la prise en charge (SPDT, SPDTU, SPPI) dès lors que celui-ci (ou ceux-ci) est (ou sont) joint(s) à la décision du directeur. Ce qui met fin à la polémique ou l’interprétation variable relative au mode de motivation de la décision du directeur[8]. Le choix demeure celui de la direction de l’établissement.
En résumé :
- Si le directeur peut prendre une nouvelle mesure de soins sans consentement un patient suite à une levée sèche d’une mesure de soins contraint en hospitalisation complète dès lors que les conditions légales de l’article L3211-12-II,2° du CSP sont remplie, il n’en demeure pas moins que cette pratique ne doit pas devenir la règle et un moyen de contrer la décision du JLD. Les professionnels se doivent de respecter la procédure de prise en charge des soins sans consentement, garantie des droits du patient et du respect de sa personne.
- Seules les violations importantes et graves des droits de la personne peuvent entrainer une levée de l’ensemble de la mesure d’hospitalisation sous contrainte.
- Les décisions d’admission du directeur trouvent aussi leur motivation en visant les ou les certificats médicaux dès lors qu’ils sont joints à la décision.
[1] LOI n° 2011-803 du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge
[2] Lorsque la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète est acquise en application du V de l’article L. 3211-12-1,[ délais du juge dépassé] le patient peut, dès cette mainlevée, faire l’objet de soins psychiatriques sous la forme mentionnée au 2° du I de l’article L. 3211-2-1 [SPPI] si les conditions prévues au I des articles L. 3212-1 ou L. 3213-1 sont toujours réunies et selon les modalités prévues, respectivement, aux chapitres II ou III du présent titre [à savoir SPDD ou SDDRE].Dans ce cas, un programme de soins est établi en application de l’article L. 3211-2-1. La période d’observation et de soins initiale mentionnée à l’article L. 3211-2-2 n’est pas applicable.
[3] II.-Le directeur de l’établissement prononce la décision d’admission :
2° Soit lorsqu’il s’avère impossible d’obtenir une demande dans les conditions prévues au 1° du présent II et qu’il existe, à la date d’admission, un péril imminent pour la santé de la personne, dûment constaté par un certificat médical établi dans les conditions prévues au troisième alinéa du même 1°. Ce certificat constate l’état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie et la nécessité de recevoir des soins. Le médecin qui établit ce certificat ne peut exercer dans l’établissement accueillant la personne malade ; il ne peut en outre être parent ou allié, jusqu’au quatrième degré inclusivement, ni avec le directeur de cet établissement ni avec la personne malade.
[4] Impossibilité d’obtenir une demande d’un tiers, un péril imminent dument constaté par un CM constatant l’état mental de la personne malade, indique les caractéristiques de sa maladie, et la nécessité de recevoir des soins. Le médecin ne peut exercer dans l’établissement d’accueil, ni être parent, ou allié, jusqu’au 4ème degré avec le directeur ou le patient.
[5] L3211-3 du Csp
[6] Sur ce point voire le rapport annuel du CGLPL, 2018 sur le contrôle trop formel du JLD, p42 point 2-6 les voies ce recours.
[7] Cour de cassation du 15 janvier 2015, pouvoir 13-24361
[8] Voir sur ce point, JL. Autin, La motivation des actes administratifs unilatéraux, entre tradition nationale et évolution des droits européens, Revue française d’administration publique 2011/1-2 (n° 137-138), pages 85 à 99.