Billet d’humeur – Clause de non concurrence et départ des médecins vers le privé : le point sur les outils
Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH
Où en est-on de la mise en œuvre des clauses de non-concurrence censées freiner les velléités de départ des médecins hospitaliers ? S’agissant des fonctionnaires et contractuels, les textes sont pléthoriques mais plutôt précis. En revanche, les médecins hospitaliers disposent d’un cadre juridique plus ambitieux qu’effectif.
Deux textes cohabitent qui créent deux clauses de non-concurrence au périmètre et au contenu distincts :
- L’article L.6152-5-1 CSP concerne le départ d’un praticien hospitalier (PH)/contractuel dans le secteur privé :
« Lorsqu’ils risquent d’entrer en concurrence directe avec l’établissement public de santé dans lequel ils exerçaient à titre principal, il peut être interdit, en cas de départ temporaire ou définitif, aux praticiens mentionnés à l’article L. 6151-1[1], au 1° de l’article L. 6152-1[2] et à ceux mentionnés au 2°[3] du même article L. 6152-1, dont la quotité de temps de travail est au minimum de 50 % d’exercer une activité rémunérée dans un établissement de santé privé à but lucratif, un cabinet libéral, un laboratoire de biologie médicale privé ou une officine de pharmacie. Le directeur de l’établissement fixe, après avis des instances (…), les conditions de mise en œuvre de cette interdiction, par profession ou spécialité, selon des modalités définies par voie réglementaire ».
Problème : le décret devant préciser cette disposition légale n’est jamais paru, ce qui la rend inapplicable en l’état, comme l’avait confirmé en son temps la commission de déontologie[4]. Une question parlementaire en 2018-2019 avait donné au ministère l’occasion d’annoncer la parution imminente d’un décret[5]. Depuis, plus rien !
- L’article L.6154-4 CSP sur le départ d’un PH ayant exercé une activité libérale dans l’établissement :
« Le contrat [d’activité libérale] prévoit une clause engageant le praticien, en cas de départ temporaire ou définitif, excepté lorsqu’il cesse ses fonctions pour faire valoir ses droits à la retraite, à ne pas s’installer, pendant une période au minimum égale à six mois et au maximum égale à vingt-quatre mois, et dans un rayon au minimum égal à trois kilomètres et au maximum égal à dix kilomètres, à proximité de l’établissement public de santé qu’il quitte. »
L’annexe 61-2 du code de la santé publique qui fixe le contrat-type pour l’activité libérale d’un praticien hospitalier y fait effectivement référence. Les récents textes contribuent à développer le rôle des commissions locales et régionales de l’activité libérale pour permettre davantage de contrôle sur l’exercice de cette activité, y compris en cas de départ du praticien[6].
Mais la pratique semble s’être bien peu emparée de cet outil…
Reste le droit commun sur le cumul d’activités, applicable à tous agents publics, y compris les praticiens hospitaliers et médecins sous contrat[7]. Ce dispositif juridique intègre également des règles sur la poursuite d’une activité privée après une activité dans le secteur public. Si un praticien hospitalier démissionne, ou sollicite une disponibilité pour convenances personnelles afin de partir exercer dans le secteur libéral (en cabinet de ville ou en clinique), l’établissement peut être amené à exercer un contrôle déontologique sur les conditions et effets de son départ.
Il s’agit pour l’établissement employeur de vérifier si l’activité qu’exerce le médecin risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique de dignité, impartialité, intégrité et probité, ou de placer l’intéressé en situation de commettre les infractions de prise illégale d’intérêts[8]. Les modalités de cette démarche sont précisées par le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique.
Le professionnel fournit toutes les informations utiles sur le projet d’activité envisagée. La décision de l’établissement dont relève le médecin peut comporter des réserves visant à assurer le respect des obligations déontologiques et le fonctionnement normal du service. Lorsque l’autorité hiérarchique a un doute sérieux sur la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions exercées par le professionnel au cours des trois dernières années, elle saisit sans délai le référent déontologue[9] pour avis. Lorsque l’avis du référent déontologue ne permet pas de lever le doute, l’autorité hiérarchique saisit sans délai la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV).
Après instruction, la HATPV peut rendre un avis de compatibilité avec réserve ou d’incompatibilité qui lie l’établissement employeur et s’impose à l’agent.
La pratique est loin de recourir à cette procédure, qui paraît bien peu dissuader les médecins candidats à un départ temporaire ou définitif de l’hôpital public. Il faut remonter à deux avis de la Commission de déontologie en date du 17 novembre 2010[10] pour trouver des illustrations de ce contrôle déontologique, sous l’empire de dispositions réglementaires similaires. Dans le premier avis, analysant la situation créée par le départ d’un chirurgien d’un centre hospitalier régional du centre de la France, la commission a estimé que ce départ risquait de créer un risque pour le bon fonctionnement du service, dès lors que ce praticien hospitalier était le seul spécialiste en chirurgie thoracique du CHR et qu’il irait exercer dans un établissement de santé situé à proximité immédiate, entraînant vraisemblablement sa clientèle, alors que le CHR conservait l’activité d’urgence et de réanimation. La commission a rendu un avis de compatibilité à condition que ce chirurgien aille exercer dans un établissement privé qui ne soit pas situé dans la même agglomération (avis n° 10.A1253 du 17 novembre 2010).
A l’inverse elle a considéré, dans la situation assez similaire d’un chirurgien vasculaire d’un centre hospitalier d’une ville moyenne de l’ouest de la France qui souhaitait exercer au sein d’une clinique privée dans la même ville, que, sur le plan déontologique, ce départ ne devrait pas mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service à partir du moment où une convention de coopération entre ces deux établissements devait être signée en apportant ainsi une solution aux problèmes de la permanence des soins et donc au bon fonctionnement du service, qui pouvait résulter de ce départ (avis n° 10.A1253 du 17 novembre 2010).
Conclusion
Un établissement dispose souvent de peu d’arguments pour retenir un médecin qui souhaite le quitter pour exercer à titre libéral. A minima, l’hôpital peut s’assurer, via la procédure de contrôle déontologique décrite, que les conditions de cet exercice libéral ne viendront pas aggraver sa situation de pénurie médicale en entraînant une fuite de patients, par « captation » de patientèle. Car, somme toute, il y a des façons plus ou moins élégantes de se quitter…
[1] Personnels hospitalo-universitaires
[2] Praticiens hospitaliers
[3] Praticiens sur contrat
[4] Démission d’un praticien hospitalier – avis de la commission de déontologie – Fédération Hospitalière de France (FHF)
[5] Application de l’article L.6152-5-1 du code de la santé publique – Sénat (senat.fr)
[6] Article R.6154-1 s. CSP
[7] Le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique est applicable aux médecins hospitaliers (article 1)
[8] Infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal
[9] Encore faut-il qu’il ait été désigné !
[10] Rapport d’activité 2010 de la commission de déontologie, page 38,