ARTICLE – « Docteur junior », un nouveau statut très attendu par les internes

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 18/12/2018

Martine CAPPE, Consultante au Centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières n°580, novembre 2018

Introduction

Un nouveau « statut médical » apparaît à l’hôpital, celui de « docteur junior ».

Cette nouvelle création statutaire s’inscrit dans la suite logique de la réforme du troisième cycle des études médicales engagée en 2016.

Pour rappel à l’origine de cette réforme, un rapport établi en 2010 par l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales) et l’IGAENR (Inspection Générale de l’Administration, de l’Education Nationale et de la Recherche). Ce rapport dresse un bilan de l’organisation du troisième cycle des études médicales et du post-internat.

L’axe prioritaire de la réforme est de répondre aux besoins de santé en formant mieux les médecins par la mise en place d’une organisation plus lisible, un seul diplôme pour l’exercice d’une spécialité (le diplôme d’études spécialisé, DES), et un parcours de formation progressif organisé en 3 phases : socle, approfondissement, consolidation.

  1. La création de ce statut doit répondre au souhait de mettre fin à une ambivalence sur le statut de l’interne tant dans la loi que dans la pratique.

Le titre de « Docteur Junior » en phase 3 de consolidation permet :

  • Un réel positionnement : L’interne n’est plus un étudiant, il n’est pas un médecin au sens propre du terme mais il a un statut : celui de « docteur junior ».
  • Une autonomie: Le docteur junior exerce des fonctions de prévention, de diagnostic, de soins et, le cas échéant, des actes de biologie médicale seul.

L’interne, quant à lui, agit par délégation. Ces dispositions relèvent, pour l’essentiel, de l’article R 6153-3 du code de la santé publique selon lequel l’interne exerce ses fonctions « par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève ». Il s’agit le plus souvent du chef de service.

Cette autonomie se retrouve par exemple :

  • Dans les prescriptions. Aucun texte n’autorise en effet l’interne à prescrire…
  • La rédaction de certificats

Cette prérogative étant subordonnée à l’obtention du diplôme d’Etat de docteur en médecine, l’interne ne peut valablement se livrer à la rédaction d’un tel document. La circulaire du 8 décembre 1988 précise en outre que la délégation dont peut bénéficier l’interne dans le cadre de ses fonctions ne saurait comprendre la faculté de signer les certificats.

  • Un accès aux remplacements
  • Une valorisation financière par les gardes prises sur les lignes des séniors, par l’attribution d’une indemnité de logement et par les remplacements.
  1. Ce que disent les textes

A compter du 1er novembre 2020, après validation des connaissances et compétences nécessaires à la validation de la phase 2 de la spécialité suivie, après avoir soutenu sa thèse et obtenu le diplôme d’état de docteur, l’étudiant pourra être nommé en qualité de docteur junior comme le précise le décret n°2018- 571 en date du 03 juillet 2018 : les étudiants de 3e cycle en médecine, pharmacie ou biologie médicale qui accomplissent la phase 3 dite « de consolidation » sont dorénavant dénommés « docteurs juniors ». Le texte précise que le docteur junior exerce des fonctions de prévention, de diagnostic, de soins et, le cas échéant, des actes de biologie médicale, avec pour objectif de parvenir progressivement à une pratique professionnelle autonome.

Il suit sa formation sous le régime de l’autonomie supervisée.

Après un entretien individuel à l’entrée dans la phase 3, la nature, le nombre et les conditions de réalisation des actes qu’il peut accomplir en autonomie supervisée font l’objet d’une concertation avec le praticien responsable du lieu de stage, en lien avec le coordonnateur local de la spécialité.

Ces éléments sont inscrits dans son contrat de formation. Un référentiel de mises en situation fixe, pour chaque spécialité, les étapes du parcours permettant au docteur junior d’acquérir progressivement une pratique professionnelle autonome.

Le docteur junior bénéficiera, ainsi que les internes, d’une indemnité forfaitaire d’hébergement (200 € bruts/mois) versée lorsqu’il accomplit un stage ambulatoire situé dans une zone sous-dense et à plus de 30 kilomètres de son centre de formation.

Il pourra également, « à sa demande », être « autorisé à participer (…) au service de gardes et astreintes médicales », et percevra « des émoluments forfaitaires mensuels », variables en fonction de l’avancement de son cursus, mais aussi « des primes et indemnités ». Il pourra par ailleurs prétendre à l’indemnité d’hébergement forfaitaire des internes.

La participation aux gardes devra faire l’objet d’une demande au praticien dont relève le docteur junior. Après accord de ce dernier, le directeur de l’établissement peut l’autoriser à participer au service de gardes et astreintes médicales. L’autorisation sera transmise au conseil départemental de l’ordre des médecins.

Ce nouveau statut ne concernera pas la médecine générale, cette spécialité ne comportant pas de phase de consolidation.

  1. Le recrutement du Docteur Junior par les établissements

C’est le directeur général du centre hospitalier universitaire de rattachement qui nomme le Docteur Junior.

Dans les trois mois qui suivent sa nomination, le docteur junior demande à être inscrit pour la durée de la phase 3 restant à accomplir sur un tableau spécial établi et tenu à jour par le conseil départemental de l’ordre des médecins du département du centre hospitalier universitaire de rattachement ou, pour les étudiants inscrits en biologie médicale, du conseil national de l’ordre des pharmaciens.

Le docteur junior est affecté par le directeur général de l’agence régionale de santé dans les lieux de stage fixés au deuxième alinéa de l’article L. 632-5 du code de l’éducation.

Si les internes saluent une avancée réelle avec la création « Docteur Junior », ils s’interrogent également sur ce statut hybride de Docteur junior en autonomie supervisée.

Plusieurs questionnements subsistent :

  • Concernant les éléments de rémunération, pas de détail concret à ce jour : ils seront « variables en fonction de l’avancement et dans le cursus ». Le docteur junior percevrait des émoluments forfaitaires mensuels définis par des textes règlementaires prochainement et des indemnités, parmi lesquelles une prime d’autonomie supervisée annuelle.
  • Concernant le positionnement, cela reste assez confus, ce statut ressemble à un statut d’assistant en terme de responsabilité mais d’interne en terme de rémunération. Ce sera un médecin inscrit à l’ordre mais supervisé par un maître de stage durant la phase de consolidation.
  • S’agissant de la participation aux gardes, ce statut ne génèrera-t-il pas des inégalités au niveau de la qualité de la permanence des soins entre Centre Hospitalier et CHU, des « Docteurs junior » seuls assurant des gardes de séniors dans des centres hospitaliers ?
  • Le texte pose également la question de l’opportunité financière pour les Directions hospitalières : ne préfèreront-t-elles pas recruter des Docteurs Juniors pour faire le travail d’un assistant à un coût moindre ? Dans ces conditions, quel avenir peut-on envisager pour le statut d’assistant des Hôpitaux ?
  • Enfin, quelle sera la responsabilité professionnelle du Docteur Junior concernant une action engagée par un patient ?

Délégation : c’est le mot-clé. L’interne n’est donc autorisé à pratiquer la médecine qu’en vertu du « praticien dont il relève ».

Le docteur Junior sera quant à lui en « Autonomie supervisée » sa responsabilité professionnelle sera-t-elle calquée sur le modèle de l’interne ou de l’assistant ou bien assistera-t-on à la création d’un nouvel équilibre de responsabilité professionnelle ?

Conclusion :

Les études de médecine connaissent un réel bouleversement, tant par la réforme complète du troisième cycle, la suppression du numérus clausus et la suppression de l’examen classant national.

Les prochains mois avant l’application du décret et la création du statut de « Docteur Junior » devraient apporter certaines réponses aux questions restées en suspens.

Les acteurs hospitaliers pourront souhaiter attendre (et on les comprend !), d’avoir un peu plus de visibilité pour se lancer dans ce nouveau dispositif