NOTE DE JURISPRUDENCE – Retour sur les modalités de report du droit aux congés annuels non pris par les personnels médicaux
CE, 13 mai 2019, Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes réanimateurs
En cette période estivale, le Conseil d’Etat nous incite à revoir les modalités du report du droit aux congés annuels non pris par les personnels médicaux. Ce n’est pas sans surprise que le Conseil d’Etat se prononce dans cet arrêt 13 mai 2019 sur l’illégalité de la circulaire du 29 mars 2013 et l’instruction ministérielle du 1er octobre 2013 relatives au report du droit aux congés annuels non pris des personnels médicaux au regard de la jurisprudence européenne en la matière.
Les faits :
Le Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs (SNPHARE) demandait :
- d’une part, l’abrogation de la circulaire du ministre chargé de la santé du 29 mars 2013 relative à l’incidence des congés pour raison de santé sur le report des congés annuels des personnels médicaux et de l’instruction du 1er octobre 2013 relative à l’incidence du congé de maternité, du congé d’adoption de paternité et du congé parental sur le report des congés annuels des personnels médicaux
- d’autre part, que soit pris un décret en Conseil d’Etat insérant dans le statut de praticiens hospitaliers, le droit au report pendant une durée de deux ans de congés annuels non pris ainsi que le droit à l’indemnisation des congés non pris en cas de cessation d’activité.
Face au rejet de la demande d’abrogation des circulaires litigieuses par le ministre chargé de la santé, le recours du SNPHARE est porté devant le CE.
Les dispositions litigieuses :
- La circulaire du 29 mars 2013 ouvrant la possibilité aux personnels médicaux de reporter sur l’année suivante (N+1) les congés annuels non pris de l’année en cours (N) en raison d’un congé maladie. La circulaire précise par ailleurs, qu’un congé non pris n’ouvre pas droit à une indemnisation.
- L’instruction ministérielle du 1er octobre 2013 étendant cette possibilité ouverte aux personnels médicaux de reporter sur l’année suivante (N+1) les congés annuels non pris de l’année en cours (N) en raison d’un congé de maternité, de paternité, d’adoption ou d’un congé parental. L’instruction rappelle également qu’un congé non pris n’ouvre pas droit à une indemnisation
Etait en cause notamment la durée de la période de report du droit aux congés annuels ainsi que l’absence d’indemnité compensatrice au titre des congés non pris en cas de cessation d’activité.
La décision du CE :
L’incompétence du ministre en charge de la santé
Les règles en matière de report du droit au congé annuel non pris par le personnel médical absent en raison des différentes catégories de congés visés présentent un caractère statutaire et doivent à ce titre être édictées par un décret pris en Conseil d’Etat en vertu des dispositions des articles L.6152-1 et L.6152-6 du Code de la santé publique.[1]
Dès lors, les circulaires litigieuses prises par le ministre chargé de la santé sont entachées d’incompétence. En effet, en l’état actuel du droit, le Premier ministre dispose de la compétence réglementaire de droit commun, à ce titre, seul ce dernier était compétent pour édicter des règles en la matière.
L’interprétation erronée de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)
Au-delà de la question de la compétence, le CE se prononce sur la conformité des dispositions prévues dans les textes mis en cause au regard notamment de la jurisprudence de la CJUE. Rappelons-le c’est sous l’influence du droit de l’Union[2] que la réglementation nationale relative au report du droit aux congés annuels[3] avait été amenée évoluer.
A ce titre, il considère que les textes en cause se livrent à une mauvaise interprétation de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Revenons sur la jurisprudence européenne en la matière :
- Sur la durée de la période de report du droit aux congés annuels non pris
La CJUE rappelle dans un arrêt 22 novembre 2011[4] que des dispositions nationales peuvent prévoir la perte du droit aux congés annuels à l’expiration d’une période maximale de report. A cet égard, elle précise que la période de report doit « dépasser substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée ». Elle considère en l’espèce, qu’une période de report de 15 mois est conforme à la directive 2003/88/CE précité.
Pour autant ces dispositions ne peuvent prévoir l’extinction de ce droit « lorsque le travailleur a été en congé de maladie durant tout ou partie de la période de référence et que son incapacité de travail a perduré jusqu’à la fin de sa relation de travail, raison pour laquelle il n’a pas pu exercer son droit au congé annuel payé[5]. »
Deux éléments importants se dégagent de la jurisprudence de la CJUE :
- La période de report doit être substantiellement plus longue que la période de référence pour laquelle elle est accordée à savoir l’année civile.
- L’extinction du droit aux congés annuels à l’expiration de la période de report ne saurait s’appliquer dès lors que l’incapacité de travail du praticien a perduré jusqu’à la cessation d’activité
Les circulaires en cause ne permettant le report des congés annuels non pris que jusqu’au 31 décembre de l’année suivante sont contraires à la jurisprudence de la CJUE.
- Sur l’indemnisation des congés annuels non pris
Sur le volet de l’indemnisation des congés annuels non pris, la cour considère qu’au terme de la relation de travail, le praticien qui a été dans l’impossibilité d’exercer son droit aux congés annuels en raison d’un congé de maladie doit se voir accorder une indemnité compensatrice pour congés non pris, sauf si ce dernier a effectivement eu la possibilité d’exercer son droit[6].
Dès lors, deux hypothèses sont à distinguer :
Hypothèses | Conséquences |
Le praticien a eu la possibilité d’exercer son droit aux congés annuels mais ne l’a pas fait | – Extinction du droit aux congés annuels à l’expiration de la période de report – Absence d’indemnisation |
Le praticien n’a pas pu exercer son droit durant la période de référence et/ou de report avant la cessation d’activité | – Indemnité compensatrice pour congés non pris |
Au regard de ce qui précède, en ce qu’elles ne prévoient pas de droit à indemnisation les congés annuels non pris en cas de cession d’activité, les circulaires en cause sont contraires au droit de l’Union.
Ce qu’il faut retenir de cet arrêt :
- La période de report du droit aux congés annuels doit être supérieure à une année
- Les congés annuels non pris doivent faire l’objet d’une indemnisation en cas de cessation d’activité
- L’arrêt concerne en l’espèce les personnels médicaux mais est transposable aux personnels non médicaux
Si la haute juridiction se prononce en faveur de l’illégalité de la circulaire du 29 mars 2013 et de l’instruction du 1er octobre 2013, il précise qu’à défaut de dispositions dans le code de la santé publique relatives au statut des praticiens hospitaliers concernant le droit au report des congés annuels et l’indemnisation des congés annuels non pris, rien n’impose au Premier Ministre compétent en la matière d’adopter un décret sur le sujet.
Pour autant, cet arrêt doit attirer tout particulièrement l’attention des directions des affaires médicales les incitant à revoir leur pratique en la matière pour se mettre en conformité.
[1] Ces articles prévoient que le statut des personnels médicaux est établi par voie réglementaire
[2] Directive 2003/88/CE du parlement européen et du conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail
[3] Article 4 du Décret n°2002-8 du 4 janvier 2002 relatif aux congés annuels des agents des établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière
[4] CJUE, 22 novembre 2011, C-214/10
[5] CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06 et C-520/06
[6] CJUE, 20 janvier 2009, C-350/06 et C-520/06 précité