BILLET D’HUMEUR – Mesure d’isolement et contention malmenées par les juges, ou comment la cour de cassation rétablit la sécurité juridique des textes

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 03/02/2020

Arrêt n° 1020 de la 1ère ch.cv. du 7 novembre 2019 req n° 1918.262.

Isabelle Génot-Pok, juriste consultante, Centre de droit JuriSanté du CNEH

Pour faire suite à notre article publié dans la revue Gestions Hospitalières[1] qui relevait la difficulté pour les hospitaliers à suivre l’évolution de l’analyse de la loi du 5 juillet 2011, la Cour de cassation dont le dernier arrêt en la matière nous était alors encore inconnu, vient de mettre un coup d’arrêt à la jurisprudence « ultra large » des juges de Versailles.

En effet, pour ne revenir que sur quelques affaires, la jurisprudence que les juges des libertés et de la détention (JLD) et les magistrats de la cour d’Appel (CA) ont voulu développer, permettait par une interprétation extensive de leur champ de compétence, d’intégrer lors des audiences obligatoires le contrôle des mesures d’isolement et de contention des patients hospitalisés en soins sans consentement.

Ainsi, les juges de Versailles affirment depuis 2017 qu’ils sont compétents pour examiner les mesures de mise en isolement et sous contention dans le cadre de la prise en charge du patient. Cependant, la réforme de 2016 instaurant l’article L3222-5-1 CSP relatif aux conditions de mise en isolement et sous contention, n’entre pas dans la compétence attribuée au JLD par la loi de 2011 (article L3216-1 CSP).[2] La difficulté étant que les juges versaillais, qui se fondent sur le « pouvoir » que l’article 66 de la Constitution attribue au juge judiciaire[3], continuent de soulever ce motif pour lever des mesures de soins contraints depuis 2016. De ce fait ils ont développé un contrôle contentieux des pratiques d’isolement et de contention dans le cadre du contrôle de plein droit des mesures d’hospitalisation sans consentement.

Or, la loi ne leur donne pas cette attribution, et malgré les recommandations du CGLPL[4], la cour de cassation vient de replacer les Juges judiciaires dans leur champ de compétence.

Dans son arrêt du 7 novembre dernier la haute cour se prononce sur la situation d’un patient admis en soins sur demande d’un tiers (SPDT) dont la décision de maintien en soins contraints avait été confirmée par le JLD puis par la cour d’Appel de Reims.

Deux arguments étaient soulevés par le patient :

  • Le point de départ du décompte des jours pour saisir le JLD ;
  • La compétence du JLD pour contrôler une mesure de mise sous contention en chambre d’isolement.

Le premier argument est rapidement écarté par la cour de cassation qui suit la décision de la CA de Reims. En effet, le point de départ du calcul est bien dans le cas présent la date de la décision d’admission en établissement psychiatrique prise par le directeur et non celle de l’admission dans le service d’urgence, dans la mesure où le patient n’a pas fait l’objet de soins en péril imminent (SPPI) dans ce service. Le délai des 12 jours a donc été respecté. (On notera cependant que la question de la légalité de l’isolement et contention en service d’urgence n’a pas été soulevée ici).

Le second argument est celui qui met en jeu le champ de compétence du JLD dans le cadre de l’application de la loi du 5 juillet 2011. La cour précise d’un trait de plume et confirme la position de la CA également sur ce point :

« … il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale distincte de la procédure de soins contraints qui lui incombe de contrôler. … ainsi, … la mesure médicale échappe au contrôle du juge des libertés et de la détention. »

Certes, le principe du champ de compétence du JLD est rappelé, il ne peut se prononcer sur une mesure médicale distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement.

La décision de haute cour, cependant, peut-être lue de deux manières eu égard aux faits.

En effet, le patient n’était pas en soins psychiatriques sans consentement au moment de son isolement et contention, mais admis en service d’urgences psychiatriques en soins libres. Il s’agissait de gérer une situation aigue, prévue par la circulaire Veil de 1993[5], le temps de voir s’il fallait décider d’une prise en charge en soin contraints. Or, le JLD ne peut, par la voie de l’audience obligatoire, se prononcer sur cette situation, qui en effet, sort du champ de la loi de 2011. Aussi, certains pensent déjà, a contrario, dès lors que l’isolement et la contention sont décidés au cours des soins sans consentement, alors le JLD doit pouvoir examiner la mesure. Mais, l’article 66 de la Constitution de 1958 pose comme principe que le juge judiciaire n’intervient que « dans les conditions prévues par la loi ». A la lecture de cet article on peut aisément en déduire que la cour a posé un principe général concernant le champ de compétence du JLD, puisque l’intervention du magistrat judiciaire n’est pas prévue dans la loi de 2016, laquelle crée une procédure distincte de celle de 2011.

Ainsi, la haute cour dit le droit auquel chacun doit se conformer.

La loi de 2016 ne peut se confondre avec celle de 2011 dont les objectifs juridiques diffèrent ainsi que les champs d’application. Si un patient veut contester les conditions juridiques de la décision d’isolement et de contention ou sa légitimité, il le peut bien évidement mais par des procédures distinctes de celle prévues pour le contrôle du respect de la loi de 2011.

Encore une fois la cour doit remettre les juges dans la stricte interprétation de la loi afin de faire cesser l’insécurité juridique provoquée par des magistrats qui ne saisissent pas les limites de leurs compétences… cela n’en demeure pas moins inquiétant.

[1] ° Revue GH n°591, décembre 2019, p. 646, publié également sur notre blog dans la « rubrique psychiatrie santé mentale » posté le  11 janvier 2020

[2] En effet, l’article L3216-1 définit le champ de compétence du JLD comme étant celui de la loi du 5 juillet 2011, donc uniquement en ce qui concerne les conditions juridiques de l’entrée dans les soins sans consentement, de leur maintien et de leur sortie. L’article L3222-5-1 CSP quant à lui décrit les conditions juridiques d’une pratique de prise en charge dans le cadre des soins ce qui est hors champ de la loi du 2011. La loi de 2016 n’a aucunement modifié le champ de compétence du JLD.

[3] Article 66 de la constitution du …. 1958 « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi »

[4] Recommandation du CGLP, rapport 2018 : faire entrer dans les compétences du JLD le contrôle des mesures d’isolement et de contention.

[5] Circulaire n° 48 DGS/SP3 du 19 juillet 1993 (Circulaire Veil) portant sur le rappel des principes relatifs à l’accueil et aux modalités de séjours des malades hospitalisés pour troubles mentaux