ARTICLE – Ma Santé 2022 : Revue de rentrée
Article paru dans la revue Gestions Hospitalières n°589, octobre 2019, page 518
Marine Gey-Coué, consultante du Centre de droit JuriSanté, CNEH
Depuis son lancement officiel le 18 septembre 2018, le plan « Ma santé 2022 » se met doucement mais sûrement en place. Le dossier de presse annonçait 9 chantiers et 1 projet de loi parmi lesquels cinq actions prioritaires avaient été identifiées dès le lancement des travaux en novembre : mise en place des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), déploiement de 400 médecins généralistes dans les territoires prioritaires, création des assistants médicaux, labellisation des hôpitaux de proximité et réforme des études médicales[1].
Que s’est-il passé cet été ?
Bien sûr, la nouvelle loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé est enfin parue le 26 juillet 2019[2], instaurant à travers ses 81 articles de nombreuses mesures nouvelles et des adaptations du système de santé existant. Elle constitue un des axes centraux de la mise en œuvre du plan Ma Santé 2022, mais n’en est pas le seul. En effet, le plan « Ma Santé 2022 » n’a pas vocation à prendre la forme d’un texte légal unique décliné en dispositions réglementaires, mais s’appuie sur plusieurs vecteurs juridiques :
- « Des dispositifs relevant de réformes antérieures, et ayant fait l’objet d’un déploiement réglementaire récent (c’est le cas du dispositif des infirmiers de pratique avancée, créé par la loi de modernisation de notre système de santé de janvier 2016) ;
- Les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS), notamment la LFSS 2019, qui contient les premières mesures relatives à la réforme du financement ;
- La récente loi relative à l’organisation et à la transformation de notre système de santé ;
- Des dispositions à venir, par voie réglementaire et de nombreuses ordonnances… »[3]
C’est la raison pour laquelle d’autres textes, décrets et arrêtés, sont parus pendant l’été. L’occasion de faire un focus sur certains d’entre eux, porteurs de la mise en œuvre des actions prioritaires du plan Ma Santé 2022.
Le déploiement des CPTS pour mieux organiser la médecine de ville et coordonner les professionnels
La loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 a instauré les CPTS, le plan Ma Santé 2022 a annoncé un objectif à 1000 structures créées à l’horizon 2022. Si la nouvelle loi de santé de juillet 2019 a modifié quelque peu le régime juridique des CPTS et les a placées au cœur de l’élaboration des nouveaux projets territoriaux de santé, c’est la LFSS 2019 qui a initié leur déploiement sur le terrain. Par son article 42, la LFSS 2019 a effectivement prévu que des accords conventionnels interprofessionnels définissent les engagements et objectifs, notamment de santé publique, de qualité et d’efficience des soins des CPTS (article L.162-14-1 du code de la sécurité sociale).[4]
Depuis le début de l’année, les négociations conventionnelles ont ainsi été menées avec les représentants des professionnels de santé libéraux. C’est probablement pour cette raison que nous pouvons désormais compter près de 300 projet de CPTS. Ces négociations ont abouti à la formalisation d’un accord signé le 20 juin 2019 et approuvé par un arrêté du 21 août 2019[5], posant les grands principes fondateurs des CPTS :
- Une coordination à l’échelle d’un territoire (versus la coordination clinique de proximité assurée par les maisons de santé pluridisciplinaires, centres de santé, équipes de soins primaires et équipes de soins spécialisés) ;
- Une organisation à l’initiative des professionnels de santé de ville de ce territoire, volontaires ;
- Une adaptation aux spécificités de chaque territoire et de chaque CPTS ;
- Un statut juridique libre, sous réserve de sa compatibilité avec les missions et le financement de la CPTS ;
- La définition des missions privilégiées des CPTS : trois missions socles obligatoires et deux missions complémentaires optionnelles. Les missions socles sont : l’amélioration de l’accès aux soins (faciliter l’accès au médecin traitant, améliorer la prise en charge des soins non programmés en ville, développer le recours à la télémédecine), l’organisation du parcours pluri-professionnel autour du patient et le développement des actions territoriales de prévention. Les missions complémentaires sont le développement de la qualité et de la pertinence des soins et l’accompagnement des professionnels de santé sur le territoire.
- Les principes et les modalités d’organisation du contrat tripartite CPTS-ARS-Assurance-maladie, dont l’accord propose un contrat-type en annexe. Ce contrat d’une durée de 5 ans permet une adaptation de son contenu au regard des moyens engagés par la CPTS signataire, des objectifs de déploiement de ses missions et des conditions d’évaluation de ses actions.
- Une CPTS sera éligible au contrat conventionnel tripartite à la condition qu’elle réponde à la définition de l’article L.1434-12 du code de la santé publique (CSP) et qu’elle ait élaboré un projet de santé validé par l’ARS, sur la base d’un diagnostic territorial.
- Le montant du financement adapté à la montée en charge progressive des CPTS. Deux volets d’accompagnement financier sont définis : un financement de fonctionnement et un financement de chacune des missions exercées. Les montants versés sont adaptés à la taille de la CPTS[6] et conditionnés à la signature du contrat tripartite conventionnel. Le financement total possible varie ainsi de 185 000 € à 380 000 € en fonction des volets fixes et variables liés à l’évaluation des actions et résultats de la CPTS.
L’accord stipule en outre que les CPTS, existantes, en cours de création ou à venir, s’engagent à travers le contrat tripartite conventionnel à mettre en place les trois missions socles dans des délais de 18 mois à deux ans maximum après la signature dudit contrat. Il crée enfin des commissions paritaires des CPTS (une au niveau national, une dans chaque région et une dans chaque département) pour assurer la concertation des acteurs, le respect des dispositions de l’accord et le suivi des contrats et des évaluations des missions exercées. Que de nouvelles instances !
Des assistants médicaux pour libérer du temps médical
De même, c’est l’article 42 de la LFSS 2019 qui a ajouté un nouveau domaine soumis à négociation conventionnelle entre les médecins et l’assurance-maladie (article L.162-5 CSS). Il s’agit des « conditions et modalités de participation financière au recrutement de personnels salariés intervenant auprès de médecins exerçant dans le cadre d’un exercice coordonné et ayant vocation à les assister dans leur pratique quotidienne et améliorer ainsi l’accès aux soins » ; autrement dit, il s’agit des assistants médicaux. Notons d’ailleurs que, pour renforcer cette reconnaissance, la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé a modifié l’article L.4161-1 CSP afin que les activités assurées par les assistants médicaux ne puissent être qualifiées d’exercice illégal de la médecine.
Tout comme pour les CPTS, des négociations conventionnelles ont été menées depuis le début de l’année et ont abouti à la formalisation d’un avenant à la convention nationale des médecins, également signé le 20 juin 2019 et approuvé par un arrêté du 14 août 2019[7]. Ce texte précise que tout assistant médical, qu’il soit de profil soignant ou administratif, devra être doté d’une qualification professionnelle ad hoc, qui sera obtenue à l’issue d’une formation spécifique.
Les missions des assistants médicaux doivent leur être propres, c’est-à-dire distinctes de celles relevant des autres catégories de métiers (notamment infirmier, secrétaire médical). Elles sont regroupées en trois domaines d’intervention :
- Des tâches de nature administrative, qui consistent en des missions sans lien direct avec le soin, comme par exemple : l’accueil du patient, la création et la gestion du dossier informatique du patient, le recueil et l’enregistrement des informations administratives et médicales, l’accompagnement de la mise en place de la télémédecine au sein du cabinet, etc.
- Des missions en lien avec la préparation et le déroulement de la consultation, telles que l’aide à l’habillage, au déshabillage, à la prise de constantes, à la mise à jour du dossier du patient concernant les dépistages, les vaccinations, les modes de vie, en générant si nécessaire des alertes à l’attention du médecin, délivrance des tests et kits de dépistage, préparation et aide à la réalisation d’actes techniques.
- Des missions d’organisation et de coordination, notamment avec les autres acteurs intervenant dans la prise en charge des patients.
Le texte précise néanmoins que ce périmètre n’est pas limitatif et est laissé à la libre appréciation des médecins en fonction de leurs besoins et de leurs modes d’organisation.
En termes d’accompagnement financier du déploiement des assistants médicaux, le texte prévoit :
- Le versement d’une aide financière pour l’embauche d’un assistant médical pour des tâches médico-administratives, à condition que l’embauche soit réalisée par un groupe de médecins, exerçant à tarifs opposables et en contrepartie de plusieurs engagements (dont l’augmentation de la patientèle notamment). Cette aide sera dégressive (entre 12 000 € et 36 000 € la 1ère année, 7 000 € et 21 000 € la 3ème) et modulée selon la zone d’exercice des médecins. La signature d’un contrat entre l’assurance-maladie et le(s) médecin(s) recruteur(s), ainsi que l’évaluation annuelle des engagements constitueront un prérequis incontournable.
- Une évolution du forfait structure après deux ans de mise en œuvre, par le biais d’une revalorisation des indicateurs de ce volet d’accompagnement, pour prendre en compte les modifications organisationnelles des cabinets médicaux et valoriser l’engagement du médecin dans une démarche d’exercice coordonné. Cette participation au sein d’une équipe de soins primaires, d’une équipe de soins spécialisés, d’une maison de santé pluri-professionnelle, d’une CPTS, de réunions pluri professionnelles ou pluridisciplinaires régulières protocolisées constituera ainsi un prérequis pour bénéficier du forfait.
Reste à savoir si les médecins libéraux s’empareront de ce dispositif…
La nouvelle profession d’infirmier en pratique avancée (IPA) élargie à la santé mentale
Cet été a également connu une autre évolution touchant à l’exercice professionnel visant à dégager du temps médical : celle de l’élargissement des pratiques avancées infirmières en psychiatrie et santé mentale par les décrets et arrêtés des 12 août 2019[8]. Ces cinq textes ajoutent ainsi un quatrième domaine d’intervention pour les IPA et un diplôme spécifique, adaptés aux spécificités du secteur[9].
Cet élargissement d’un dispositif créé par la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 avait été annoncé par le plan « Ma Santé 2022 » dès 2019. Le calendrier est donc respecté alors que de nombreuses initiatives existent depuis longtemps sur le terrain et que les premières promotions d’infirmier en pratique avancée sont actuellement en formation (pour les autres domaines).
Le déploiement des expérimentations issues de l’article 51 de la LFSS 2018
L’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 avait introduit la possiblité de mettre en place des expérimentations dérogatoires à des dispositions textuelles relatives à l’organisation et/ou au financement du système de santé. L’objectif poursuivi est de :
- Permettre l’émergence d’organisations innovantes dans les secteurs sanitaire et médico-social concourant à l’amélioration de la prise en charge et du parcours des patients, de l’efficience du système de santé et de l’accès aux soins ;
- Améliorer la pertinence de la prise en charge par l’assurance maladie des médicaments ou des produits et prestations associées (art.L.162-31-1 CSS).
Un décret 2018-125 du 21 février 2018 a fixé le cadre juridique de ces expérimentations.
Le déploiement a été lancé de façon massive en juin et juillet 2019 et une vingtaine d’expérimentations sont désormais en cours dans le domaine des soins primaires (ex. soins bucco-dentaines mobiles en EHPAD), de la prévention (ex. suivi des enfants présentant un risque d’obésité), des parcours de soins (ex. Simplification du parcours de soins hépatite C dans les populations vulnérables)…)
On notera que plusieurs de ces expérimentations sont centrées sur de nouveaux modèles de financement : paiement à l’épisode de soins pour des prises en charge chirurgicales, paiement en équipe de professionnels de santé de ville, …
A suivre donc, car de ces expérimentations devraient sortir les évolutions juridiques et organisationnelles à venir !
Conclusion
Ces quelques textes choisis mettent en lumière une avancée progressive et multiforme du plan « Ma Santé 2022 », qui se construit brique par brique dans de multiples domaines. Espérons que la construction finale apporte une robustesse suffisante pour sécuriser plus que jamais les organisations et les exercices des professionnels de santé tout en maintenant un excellent niveau de qualité de soins …
Pour aller plus loin |
– CPTS : Arrêté du 21 août portant approbation de l’accord conventionnel interprofessionnel en faveur du développement de l’exercice coordonné et du déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé signé le 20 juin 2019, JORF n°0196 du 24 août 2019, texte n°5 – Assistants médicaux : Arrêté du 14 août 2019 portant approbation de l’avenant n° 7 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016, JORF n°0192 du 20 août 2019, texte n°13, et modifié par l’arrêté du 23 août 2019 – Infirmier en pratique avancée en psychiatrie : Décret n° 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l’assurance maladie et décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale, JORF n°0187 du 13 août 2019, textes n° 5 et 25 – Expérimentations article 51 LFSS 2018 : https://solidarites-sante.gouv.fr/systeme-de-sante-et-medico-social/parcours-des-patients-et-des-usagers/article-51-10918/ |
[1] « Synthèse Ma Santé 2022 », Ministère des solidarités et de la santé, Dossier de presse
[2] Loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, JORF n°0172 du 26 juillet 2019, texte n° 3
[3] « Ma Santé 2022 : Tout comprendre en 22 fiches », CNEH, JuriSanté, septembre 2019
[4] « CPTS : 4 lettres à retenir », Aude CHARBONNEL, Gestions hospitalières, n°583, février 2019
[5] Arrêté du 21 août portant approbation de l’accord conventionnel interprofessionnel en faveur du développement de l’exercice coordonné et du déploiement des communautés professionnelles territoriales de santé signé le 20 juin 2019, JORF n°0196 du 24 août 2019, texte n°5
[6] 4 tailles sont identifiées en fonction du nombre d’habitants du territoire couverts par la CPTS.
[7] Arrêté du 14 août 2019 portant approbation de l’avenant n° 7 à la convention nationale organisant les rapports entre les médecins libéraux et l’assurance maladie signée le 25 août 2016, JORF n°0192 du 20 août 2019, texte n°13, et modifié par l’arrêté du 23 août 2019
[8] Décret n° 2019-835 du 12 août 2019 relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée et à sa prise en charge par l’assurance maladie et décret n° 2019-836 du 12 août 2019 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier en pratique avancée mention psychiatrie et santé mentale, JORF n°0187 du 13 août 2019, textes n° 5 et 25
[9] « Feu vert pour l’infirmier en pratique avancée en psychiatrie et santé mentale! », Aude Charbonnel, Blog JuriSanté http://www.jurisante.fr/?p=4950