Note de jurisprudence – Dans le cadre d’une procédure disciplinaire, le médecin ne doit communiquer que les éléments médicaux strictement nécessaires à la défense de ses droits !
Aude Charbonnel, juriste, consultante au centre de droit JuriSanté
A propos de la décision du Conseil d’Etat du 22 août 2023 (n°462636).
Les faits et la procédure
A la suite d’une pénoplastie d’allongement et d’augmentation du volume de la verge puis une seconde intervention dite de retouche et enfin une injection d’acide hyaluronique, un patient a été diagnostiqué comme présentant une neuropathie sensitive du nerf dorsal de la verge occasionnant des douleurs permanentes, le privant de toute vie sexuelle. Cette situation l’a plongé dans un désarroi le conduisant à une hospitalisation en psychiatrie suivie de deux tentatives de suicide.
Une expertise ayant établi qu’il souffrait de graves séquelles en lien avec les interventions auxquelles son praticien, qualifié en chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique, avait procédé, le patient a porté plainte devant la juridiction disciplinaire ordinale.
Pour les besoins de sa défense, ce praticien a produit le bilan de la prise en charge du plaignant par un établissement public de santé mentale. L’objectif était que sa mise en cause soit appréciée à l’aune de la maladie mentale dont souffrirait ce dernier.
Mais jusqu’où un médecin peut-il communiquer pour assurer sa défense devant son ordre ? Peut-il aller jusqu’à révéler des éléments dans le but de décrédibiliser son patient, auteur d’une plainte ?
La décision
Pour la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, la communication par le médecin d’éléments médicaux susceptibles d’étayer l’affirmation selon laquelle le plaignant présenterait une pathologie psychiatrique pouvant rendre compte de son attitude et du caractère exagéré de ses griefs, pour les besoins de sa défense dans le cadre de l’instance disciplinaire, ne constitue pas une violation du secret médical.
Art. R. 4127-4 CSP (déontologie médicale) : « Le secret professionnel institué dans l'intérêt des patients s'impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris ».
Mais le Conseil d’Etat retient qu’il appartenait à la chambre disciplinaire de rechercher si cette production de pièces couvertes par le secret médical était, dans le cadre de l’instance disciplinaire en cause, non pas seulement nécessaire, mais strictement nécessaire à la défense de ses droits par l’intéressé. Il en résulte que la chambre disciplinaire nationale a commis une erreur de droit.
Dans ses conclusions, le rapport public souligne qu’ « Il ne fait (…) aucun doute que la communication d’informations médicales selon lesquelles M. B… est atteint d’un trouble mental dit de « fonctionnement limite » sur un « mode anaclitique (situation de carence affective maternelle) », est en « quête de perfection et de l’estime de l’autre », d’un besoin d’un « étayage constant » pour « survivre » et de « l’incapacité à être seul » et se trouve sous traitement antipsychotique et anxiolytique, n’était absolument pas strictement nécessaire à la défense de ses droits par le praticien. Ces informations n’ont strictement aucun rapport avec les fautes reprochées au médecin et leur communication tendait seulement à décrédibiliser l’auteur de la plainte en mettant sa démarche sur le compte de ses troubles psychiatriques. La circonstance avancée en défense (…) que certains traitements antipsychotiques peuvent avoir des effets secondaires affectant les fonctions sexuelles est totalement hors sujet dès lors que ce n’est pas ce dont se plaignait M. B… et encore moins ce qu’il reprochait au praticien ».
Ce qu’il faut en retenir
Lorsque la responsabilité d’un médecin est mise en cause devant l’Ordre, il est admis qu’il puisse révéler certains faits médicaux utiles à la manifestation de la vérité et à sa défense, y compris des éléments relatifs à la santé mentale de son patient. Mais il doit sans cesse s’interroger, dans son argumentation, pour que cette défense soit strictement limitée à ce qui est nécessaire. Et la chambre disciplinaire doit vérifier expressément si les conditions pour admettre une telle dérogation au secret médical sont bien réunies.