ARTICLE – Centres de santé : une réforme importante, un enjeu pour les établissements de santé ?
Paru dans la revue Gestions hospitalières, n°578, septembre 2018
Par Marine GEY-COUÉ, Consultante du Centre de droit JuriSanté, CNEH
2018 est l’année de réforme pour les centres de santé. Confortés dans leur rôle de structures sanitaires de proximité dispensant des soins de premier recours, ils s’ouvrent davantage à l’extérieur. Le décloisonnement ville-hôpital est désormais affiché comme réciproque et la coordination de tous les acteurs n’a jamais autant été d’actualité. Quel lien tisser avec les établissements de santé ? Celui du partenariat en premier lieu, au titre de la coordination et du décloisonnement. Mais il ne faut pas oublier qu’un établissement de santé peut également être lui-même gestionnaire de centre de santé. Alors, partenaire ou nouvelle modalité d’organisation de l’offre de soins hospitalière ?
2018, l’année de la réforme des centres de santé
A l’origine, c’est l’article 204 de la loi de santé du 26 janvier 2016 qui a lancé la réforme des centres de santé, en autorisant le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance afin de « clarifier et adapter les dispositions […] relatives aux conditions de création, de gestion, d’organisation et de fonctionnement des centres de santé »[1]. Cet objectif initial de « simplifier et renforcer l’accès aux soins de premier recours » s’est ensuite mué en véritable volonté politique de renforcer l’encadrement des centres de santé, à la suite du scandale sanitaire de Dentexia. Les deux années supplémentaires ainsi obtenues pour élaborer l’ordonnance ont permis au Ministère de la santé de réécrire l’article L.6323-1 du code de la santé publique (CSP) : les dispositions de cet unique article ont été renforcées, développées et scindées en 15 articles par l’ordonnance du 12 janvier 2018[2]. Le dispositif a ensuite été complété par le décret[3] et l’arrêté d’application publiés dans la foulée, le 1er mars 2018.
De quoi s’agit-il ? Pour l’essentiel, les évolutions concernent « les missions des centres, les modalités de leur création et de leur fonctionnement ainsi que leur gestion et leur organisation ». C’est surtout l’occasion de renforcer le contrôle de l’ARS sur les activités des centres, tant à leur création qu’au cours de leur fonctionnement, au fil des années. Car c’est bien l’absence de ce contrôle et de moyens juridiques d’intervention adaptés pour les ARS qui a fait défaut dans l’affaire des centres dentaires low cost. L’enjeu pour les pouvoirs publics consiste donc à « garantir le respect de la réglementation par les gestionnaires des centres de santé et à conforter la qualité et la sécurité des soins », comme le rappelle la DGOS dans son guide tout récent sur les centres de santé[4].
- Une évolution des missions et des modalités de création et de fonctionnement
Un centre de santé est une structure d’exercice regroupé de premier recours pratiquant des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre ou à domicile. Traditionnellement, quatre type de centres de santé coexistent : centres polyvalents, centres médicaux, centres dentaires, centres infirmiers. C’est la raison pour laquelle certaines activités antérieurement obligatoires sont devenues optionnelles avec l’ordonnance du 12 janvier 2018. C’est le cas par exemple de l’accueil d’étudiants en stage qui nécessitent des ressources supplémentaires dont certains centres ne disposent pas[5], de l’éducation thérapeutique du patient, de la permanence des soins ambulatoires ou de la pratique des IVG.
Une autre caractéristique notable des centres de santé est le statut des professionnels qui y exercent puisque tous sont salariés, médecins comme désormais les auxiliaires médicaux, l’ordonnance du 12 janvier 2018 ayant étendu ce principe du salariat à tous les professionnels du centre. Pour autant, ces professionnels restent soumis aux règles déontologiques, notamment à l’interdiction d’utiliser tous procédés directs ou indirects de publicité. Plusieurs affaires concernant des centres de santé sont d’ailleurs passées ces dernières années devant les tribunaux au motif de concurrence déloyale et de publicité illégale[6]. Il s’agissait de la mise en œuvre de l’obligation légale d’information du public incombant aux centres de santé : les cours d’appel avaient estimé que les centres n’étaient juridiquement pas soumis aux règles professionnelles et la Cour de cassation a considéré en revanche qu’ils y étaient soumis indirectement. Pour mettre fin au débat, l’ordonnance du 12 janvier 2018 a alors ajouté un alinéa interdisant toute forme de publicité en faveur des centres de santé[7].
La réforme de 2018 a en outre permis de définir juridiquement les antennes de centres de santé, jusqu’à présent simplement mentionnées dans les textes. Le décret du 27 février 2018 rend applicables l’ensemble des règles à ces antennes et l’arrêté du même jour, en en délimitant les contours, circonscrit les abus de pratique observés sur le terrain.
Les documents fondateurs des centres de santé restent le projet de santé, qui porte notamment sur l’accessibilité et la continuité des soins ainsi que sur la coordination des professionnels de santé, et le règlement de fonctionnement qui lui est annexé. L’arrêté du 27 février 2018 a d’ailleurs précisé le contenu de ces deux documents. La nouveauté réside dans la création d’un engagement de conformité sous la responsabilité du gestionnaire du centre. Le décret du 27 février 2018 en précise les modalités de mise en œuvre : transmission par le gestionnaire du projet de santé et de l’engagement de conformité, contenu du récépissé transmis par l’ARS, déclaration obligatoire auprès de l’ARS dans les quinze jours pour toute modification substantielle du projet de santé, procédure de suspension de l’activité à l’initiative de l’ARS. Ces formalités peuvent désormais se faire « par tout moyen conférant date certaine à leur réception »[8], donc par voie électronique entre autres, ce qui en facilite l’accomplissement pour les gestionnaires. Notons que cette nouvelle procédure renforce surtout la place de l’ARS.
- Un contrôle de l’ARS nettement renforcé
Avant 2009, les centres de santé étaient soumis à un agrément préfectoral, délivré sous réserve de la réalisation d’une visite de conformité. La loi HPST n°2009-879 du 21 juillet 2009 a supprimé cet agrément et instauré un régime déclaratif sur la base du respect de conditions techniques de fonctionnement par les gestionnaires de centres, mais sans réel contrôle effectif de l’ARS. La réforme de 2018, sans réintroduire un système d’autorisation préalable au fonctionnement, responsabilise les gestionnaires qui doivent désormais transmettre, en plus de leur projet de santé, un engagement de conformité avant l’ouverture d’un centre, sur la base du modèle annexé à l’arrêté du 27 février 2018. Le récépissé de cet engagement délivré par l’ARS vaut autorisation.
Cette mesure est complétée d’un dispositif de suivi annuel permettant à l’ARS de contrôler l’évolution de fonctionnement des centres de santé de sa région. Chaque gestionnaire de centre de santé a désormais l’obligation de transmettre annuellement, avant le 1er mars, au directeur général de l’ARS « les informations relatives aux activités et aux caractéristiques de fonctionnement et de gestion des centres de santé et de leurs antennes »[9]. L’article 7 de l’arrêté du 27 février 2018 précise la nature de ces informations : coordonnées du centre de santé et de ses antennes, identification du responsable du centre, liste et effectifs des professionnels y exerçant, description des activités assurées, modalités de coordination interne et externe et informations financières. La DGOS indique en outre dans son guide du mois de juin que chaque gestionnaire doit utiliser une plateforme dématérialisée, appelée « observatoire des centres de santé », pour transmettre les informations de l’année précédente.
Ce rapport annuel d’activité ne peut néanmoins suffire lorsqu’une modification substantielle du projet de santé intervient au cours du fonctionnement du centre de santé. Le décret du 27 février 2018 définit ainsi cette nouvelle notion de modification substantielle du projet de santé et oblige chaque gestionnaire à en informer l’ARS dans les 15 jours suivant cette modification[10].
Si ces mesures sont d’application immédiate pour toute création de centre de santé, un délai de mise en conformité est prévu pour les centres de santé déjà en fonctionnement à la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance du 12 janvier 2018. Ces derniers ont ainsi jusqu’au 1er mars 2019 pour transmettre leur engagement de conformité et leur rapport annuel d’activités.
Enfin, le dispositif de contrôle de l’ARS se parachève par un élargissement des cas de manquement ouvrant droit à la procédure contradictoire de droit commun pouvant aboutir à la suspension de l’activité du centre défaillant[11].
Une alternative organisationnelle aux consultations externes ?
Il existe plusieurs catégories de gestionnaires de centres de santé listées par le nouvel article L.6323-1-3 CSP : organismes à but non lucratif, collectivités territoriales, établissements publics de coopération intercommunale, établissements publics de santé ou personnes morales gestionnaires d’établissements privés de santé, à but non lucratif ou à but lucratif, ou encore, nouveauté 2018, société coopérative d’intérêt collectif composée des catégories précitées. Les textes de 2018 viennent donc clarifier la possibilité pour tous les établissements de santé de créer et gérer des centres de santé : établissements publics de santé, établissements privés de santé, à but non lucratif ou à but lucratif, pas de distinction organique ! A la réserve près, précise le guide DGOS du 27 juin 2018[12], que le caractère non lucratif de la gestion des centres soit bien respecté.
C’est effectivement un point clef de la réforme de 2018 : le caractère non lucratif des centres de santé est érigé en principe légal, tout comme les conditions financières des centres qui doivent pratiquer le tiers payant et ne peuvent pas facturer de dépassement d’honoraires[13]. Ce principe fleure bon les valeurs du service public hospitalier !
Au-delà de cette considération, quel pourrait être l’avantage pour les établissements de santé de créer et gérer un centre de santé ?
Nous l’avons vu, le centre de santé emploie des professionnels salariés. Il ne constitue donc pas une modalité organisationnelle pour travailler avec des professionnels libéraux (pour lesquels les contrats d’exercice libéral et les outils de coopération – convention, groupement – restent les vecteurs juridiques adaptés). En revanche, un centre de santé peut favoriser l’attractivité de certains professionnels, rassurés par l’exercice regroupé, et plus encore si le lien avec l’établissement hospitalier du territoire est renforcé.
En outre, dans le contexte des groupements hospitaliers de territoire qui ont pour objectif, entre autres, de graduer l’offre de soins, gérer un centre de santé permet de couvrir l’offre de premier recours. Cette offre de proximité peut être certes assurée par des consultations externes proposées par l’établissement de santé, mais cette offre n’est pas toujours coordonnée. Le centre de santé pourrait alors offrir cette coordination des différents professionnels hospitaliers pour l’offre de premier recours. Il ne faut pas non plus oublier qu’un centre de santé peut être membre de communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ou composer une plateforme territoriale d’appui (PTA)[14], tous ces nouveaux dispositifs de ville ayant été introduits par la loi de santé du 26 janvier 2016. Le centre de santé peut donc constituer un point d’ancrage avec les partenaires de premier recours tout en favorisant le décloisonnement ville-hôpital. Cela suppose néanmoins que le projet de santé du centre soit bien distinct du projet d’établissement, conformément aux dispositions du nouvel article L.6223-1-10 CSP.
Des partenariats à construire pour décloisonner ville et hôpital
Si l’opportunité ne se présente pas de créer un centre de santé, tout établissement de santé a intérêt à travailler avec les centres existants sur son territoire. Dans cet objectif permanent d’ouvrir l’hôpital à la ville, nouer des partenariats relève de l’évidence. Certes, il y a les obligations légales : un centre de santé pratiquant des IVG aura l’obligation de signer une convention avec un établissement de santé. Ou bien encore, le projet de santé d’un centre de santé doit en principe contenir des éléments de coordination externe, conformément à l’article 2 de l’arrêté du 27 février 2018, à savoir la liste des « partenariats noués, au travers de conventions, avec les structures et professionnels sanitaires, sociaux et médico-sociaux du territoire », ainsi que les « modalités de partage des informations de santé des patients entre les professionnels au sein du centre de santé […] et avec les partenaires »[15]. La coordination des professionnels dépasse ainsi désormais les murs du centre de santé.
Mais au-delà des obligations légales, des avantages réciproques peuvent naître de partenariats :
- L’adossement d’un centre de santé autonome à un établissement de santé permet, d’une part, d’exploiter le patrimoine hospitalier, de potentiellement nourrir les files actives de l’hôpital et, d’autre part, de permettre au centre d’accéder au plateau-technique hospitalier, comme l’IRM par exemple, et de diversifier ainsi ses activités.
- Faire émerger de nouvelles dynamiques, conforter les structures les plus fragiles notamment en raison du départ de médecins et accompagner la montée en charge des structures existantes en vue d’améliorer le service rendu, à l’instar du pôle de santé de Lure en Haute-Saône qui compte un centre de santé et une maison de santé pluriprofessionnelle intégrés dans un seul et même bâtiment mitoyen de l’hôpital.
- Une structuration coordonnée des parcours patients peut être co-construite entre premier et second recours, afin d’éviter notamment des hospitalisations inutiles. Cette coordination des parcours pourrait en outre s’inscrire dans le cadre de l’expérimentation pour les innovations organisationnelles prévue par l’article 51 de la LFSS pour 2018.
C’est tout l’enjeu du décloisonnement ville-hôpital dont les centres de santé sont une composante parmi les autres (CPTS, PTA, libéraux, etc.) : aller chercher les ressources professionnelles là où elles existent et améliorer et structurer le parcours patient pour assurer ses activités, sur la base d’une vision fondée sur des valeurs partagées. C’est la définition de la responsabilité populationnelle, en vogue sur le terrain, qui a pour objet de dégager une vision commune des besoins de la population, engager son organisation en réseau et partenariats, adapter les services, initier et soutenir le changement, évaluer la performance et les effets sur la santé et le bien-être. Cela va au-delà de la simple coordination, et ce quelle que soit la forme organisationnelle choisie (gestion d’un centre de santé ou partenariat avec un centre existant) !
[1] Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, JORF n°0022 du 27 janvier 2016
[2] Ordonnance n° 2018-17 du 12 janvier 2018 relative aux conditions de création et de fonctionnement des centres de santé, JORF n°0010 du 13 janvier 2018, texte n°13
[3] Décret n° 2018-143 du 27 février 2018 relatif aux centres de santé, JORF n°0050 du 1er mars 2018, texte n°19
[4] Instruction N° DGOS/PF3/2018/160 du 27 juin 2018 relative aux centres de santé
[5] Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2018-17 du 12 janvier 2018 relative aux conditions de création et de fonctionnement des centres de santé
[6] CCass, 1ère Ch Civ, 26 avril 2017, n°16-14.036 et n°16-15.108
[7] Nouvel article L.6323-1-9 CSP
[8] Nouveaux articles D.6323-8, D.6323-9, D.6323-10 et D.6323-11 CSP
[9] Nouveaux articles L.6323-1-13 et D.6323-12 CSP
[10] Nouvel article D.6323-10 CSP
[11] Nouveaux articles L.6323-1-12 et D.6323-11 CSP
[12] Cf. Instruction précitée
[13] Nouveaux articles L.6323-1-4 et L.6323-1-7 CSP
[14] Nouvel article L.6323-1-6 CSP
[15] Arrêté du 27 février 2018 relatif aux centres de santé, JORF n°0050 du 1 mars 2018, texte n°32