ARTICLE – Le DMP, c’est reparti… enfin ! Morceaux choisis
Par Isabelle GENOT-POK – Consultante du Centre de droit JuriSanté du CNEH
Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n°582 – janvier 2019
La ministre de la santé Agnès Buzyn a lancé officiellement le 6 novembre 2018 la généralisation du Dossier médical partagé (DMP) en le qualifiant de « symbole de la stratégie de transformation du système de santé engagée par le gouvernement »[1]. Le DMP, un sujet qui date, un sujet qui fut qualifié « d’arlésienne », un sujet qui ne fait pas forcement encore l’unanimité auprès des professionnels, un sujet qui n’est pas encore bien connu du grand public pourtant pleinement concerné.
Un peu d’histoire…
Si on attendait réellement ce dossier numérique depuis 2013, c’est un chantier de travail et de réflexion qui remonte à 2004. Ce dossier, à l’époque appelé le « dossier médical personnel », est envisagé afin de remplacer le fameux carnet de santé édité sur support papier, qui lui-même rencontra bien des difficultés et qui se solda par un échec. Ce DMP arrive donc enfin dans le quotidien des usagers. Le souhait du ministère de la santé est d’atteindre un objectif de 40 millions de dossiers ouverts d’ici 2022.[2] Le fait est que le DMP est à présent disponible pour tous, gratuit, sécurisé et non obligatoire. Mais sa non-création n’a aucune incidence sur la prise en charge financière du patient et ses remboursements.
Le DMP, un outil au service des patients et des professionnels
Le DMP est avant tout un outil de prise en charge de la santé qui conjugue efficacité de la prise en charge, circulation de l’information et confidentialité.
L’article R1111-26 du code de la santé publique (CSP) nous éclaire sur ce point en définissant son objectif et en précisant les bénéficiaires. Le DMP est un dossier médical numérique (ou carnet de santé numérique selon la dénomination qui lui est donné) destiné à favoriser la prévention, la qualité, la continuité et la prise en charge coordonnée des soins des patients. Il peut être créé pour tout bénéficiaire de l’assurance maladie à certaines conditions (Cf infra).
Il s’agit de disposer d’un outil de renforcement de la coordination du parcours de soins des patients. Il s’intègre donc dans le cadre du partage d’informations entre les professionnels qui participent à la prise en charge du patient, afin de favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins entre tous les professionnels de santé, qu’ils exercent en ville (cabinet libéral, centre de santé, maison de santé), ou en établissement de santé ou médico-social.
Le DMP, un dossier encré dans les droits et la responsabilité du patient
Le DMP ne peut être créé qu’avec le consentement de l’usager, il n’est donc pas obligatoire. Il se veut un document maîtrisé par le patient. Le consentement est et demeure la condition première de la création de cedossier.
Une fois créé, le bénéficiaire du dossier en devient le seul titulaire. Cependant, le dispositif juridique tient naturellement compte de la situation des usagers mineurs et de ceux qui bénéficient d’une protection tutélaire, à savoir qu’il revient au représentant légal de faire la démarche de l’ouverture du dossier pour la personne qu’il représente. Cependant, concernant le mineur, si l’atteinte de l’âge de la majorité nécessite de recueillir son consentement pour conserver son DMP, le dispositif ne reflète pas l’ensemble des droits dont dispose le mineur dans le cadre de sa prise en charge. Doit-on le regretter ? (cf encart sur les mineurs et le DMP). Dans cette situation, le DMP semble atteindre ses limites.
En pratique, soit l’usager ouvre lui-même son dossier en utilisant le site prévu à cet effet (DMP.fr), soit il sollicite un professionnel de santé pour le faire à l’occasion notamment d’une consultation (médecin référent,…. médecin hospitalier) ou auprès du pharmacien[3].
Le DMP est donc un dossier qui ne peut se substituer ni au dossier médical que tout établissement[4] ou professionnel[5] doit tenir pour chaque patient pris en charge selon les obligations définies par le code de la santé publique, ni au dossier pharmaceutique, lequel répond à d’autres objectifs.
A noter que le patient peut ouvrir son DMP, et le clôturer à tout moment[6]. Il sera conservé 10 ans après la clôture et détruit par le responsable du traitement (la CNAMTS) dans le respect des règles de destruction des documents dématérialisés ayant atteints leur délai de conservation. La clôture peut être effectuée directement par l’assurance maladie suite au décès du titulaire, après le délai de conservation qui demeure de 10 ans. Enfin un dossier resté inactif durant 10 ans fera aussi l’objet d’une destruction (R1111-34).
Par ailleurs, l’ensemble des droits issus de la loi informatique et liberté s’appliquent au DMP, tel que le droit de rectification ou de modification.
Le DMP, un document de partage d’information
Afin d’assumer son enjeu essentiel de continuité et de qualité des soins, le DMP est accessible outre au bénéficiaire, aux professionnels de santé participant à la prise en charge du patient. Dans ce cadre le dispositif renvoie aux règles d’accès aux informations relatives à un même patient pris en charge par une équipe de soins, tel que définies par les articles L1110-4 III et L1110-12 du Csp[7]. Dès lors que ces professionnels font partie de la même équipe de soins (qu’elle soit hospitalière ou définie par le patient en cas de prise en charge en ville), l’autorisation d’accès au DMP sera réputée donnée à l’ensemble de l’équipe. Dans ces conditions ces professionnels pourront partager les informations concernant un patient qui sont strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social.
A contrario, si un professionnel de santé, qui ne fait pas partie de cette équipe de soins[8], a nécessité d’accéder au DMP d’un patient, il lui faudra obtenir le consentement du patient. Les modalités de recueil du consentement du patient sont ouvertes : oral, écrit, dématérialisé…le texte n’impose rien dans ce domaine.
Mais de manière générale, le bénéficiaire dispose aussi du droit d’interdit l’accès au DMP à certains professionnels. Il devra le préciser dans son dossier en indiquant leur identité.
On notera que l’accès au DMP en cas d’urgence est aussi laissé à la décision du patient. A lui de le prévoir et de s’y opposer s’il le souhaite. En cas de non opposition, les professionnels des urgences pourront accéder au dossier.
Par ailleurs, le texte distingue entre l’accès au DMP en lui-même et l’accès aux informations contenues dans le DMP. Le bénéficiaire dispose du droit de décider qui pourra accéder ou non à l’information transcrite dans son dossier en disposant du droit de masquer ces informations. Ce droit de refuser l’accès à certaines informations correspond aux dispositions légales de l’article L1110-4 qui, dans son alinéa IV, reconnait à tout personne prise en charge le droit de s’opposer au sein de l’équipe comme hors équipe à l’accès à une information. Il ne pouvait donc en être autrement pour le DMP. La limite de ce droit reste le médecin traitant référent du parcours. Toutefois ce droit trouve ses limites dans l’impossibilité pour l’usager de refuser l’accès à l’auteur même de l’information ainsi qu’à son médecin référent. Ce dernier conserve donc l’accès à la totalité des informations.
Par ailleurs, les professionnels disposent également d’un droit de masquage. Celui-ci est prévu dans le cas où une information, sans doute délicate, ne peut être délivrée qu’avec un accompagnement médical, notamment lors d’une consultation d’annonce. Le patient en sera averti dans les quinze jours suivants l’intégration de l’information. Toutefois, si l’accompagnement ne se réalise pas dans un délai d’un mois après l’intégration de l’information dans le DMP, alors celle-ci deviendra accessible. Aussi, peut-on légitimement s’interroger sur l’efficacité d’un dispositif censé ménager le patient, au vu de délais assez courts et compte tenu de la disponibilité médicale.
Enfin, tous les accès par un professionnel au dossier sont tracés, notamment la première connexion. Il en va de même pour toutes actions réalisées dans le dossier (dépôts de documents, inscriptions d’une information, prescription…). Le patient en sera systématiquement averti par le moyen qu’il aura lui-même déterminé lors de la création de son dossier.
A contrario, il est clairement précisé dans les textes que certains professionnels n’auront aucun droit d’accéder au DMP : les laboratoires pharmaceutiques, les mutuelles, les banques et les assurances privées, le médecin du travail, les personnels administratifs des établissements sanitaires ou médico-social…. Il s’agit ici de protéger l’usager de tout abus d’utilisation de ces informations.
Le DMP, un document réceptacle des informations confidentielles
Puisque le DMP a vocation à regrouper l’ensemble des informations relatives à la santé du patient, il doit être alimenté, sauf à perdre tout son intérêt. Aussi, il est prévu que, dès son ouverture, il soit alimenté par l’Assurance Maladie à partir de l’historique des soins et des traitements remboursés des 24 derniers mois[9]. Puis, chaque professionnel lors de la prise en charge du patient quelle qu’elle soit, se doit d’intégrer les données utiles à la coordination et la continuité des soins qu’il estime nécessaire de partager avec d’autres professionnels. Les textes[10] précisent que dans le respect des règles déontologiques qui lui sont applicables, chaque professionnel de santé, quels que soient son mode et son lieu d’exercice, reporte[11] dans le DMP, à l’occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge. De plus, lors de séjour en établissement de santé, les professionnels de santé reportent dans le DMP un résumé des principaux éléments relatifs à ce séjour . Cette transcription doit cependant se faire dans le respect des obligations définies par la Haute autorité de santé (HAS)[12]. Quant au médecin référent, il devra verser périodiquement, au moins une fois par an, une synthèse dont le contenu est aussi défini par la Haute Autorité de santé[13]. Les médecins concernés sont-ils bien au fait de cette obligation annuelle qui leur est imposée ?
On notera que le titulaire du DMP ne peut s’opposer au versement d’informations, ou documents utiles à la continuité, la coordination ou à la prévention des soins par le professionnel qui l’a pris en charge à moins qu’il n’ait un motif légitime[14].
Enfin, le titulaire lui-même peut intégrer les informations qu’il souhaite voir apparaître pour compléter ou informer les professionnels qui ont ou auront accès à son DMP. Toutefois, pour ce qui est de certaines d’entre elles, leur inscription au DMP n’en fera pas forcément une information intangible. Par exemple en ce qui concerne le groupe sanguin, un contrôle sera toujours effectué en cas de besoin.
Si le DMP doit avoir le caractère d’un document le plus complet possible et sans décrire à nouveau les types d’informations qui se trouvent parfaitement listées à l’article R1111-30 du csp, on retiendra cependant quelques-uns d’entre eux qu’il est notable de relever :
- Les lettres de liaison d’entrée et de sortie d’établissement, documents obligatoires et incontournables s’il en est, de la coordination et continuité des soins dont il est prévu le versement au DMP à l’article R1112-1-2 du csp (Cf. supra) ;
- Les directives anticipées qui peuvent y être versées tel que prévu à l’article R1111-18 du csp. Ce n’est pas sans rappeler que le législateur avait prévu à l’article L1111-11 du csp la création d’un registre national afin de faciliter leur dépôt, accès et connaissance qui semble-t-il n’est plus d’actualité. Cependant, cette fonctionnalité ne sera pas active avant le printemps 2019 et on peut s’en étonner pour un document si important dans la prise en charge des personnes en fin de vie[15];
- La personne de confiance désignée par le patient dans les conditions prévues par l’article L1111-6 du csp ;
- Les informations relatives au don d’organes ou de tissus.
Ces informations non contestables par les professionnels de santé aideront notamment au respect de sa volonté, essentiel dans le cadre de la relation patient-professionnels de santé.
Le DMP, et la responsabilité des professionnels
En toute logique et au regard du droit du patient, le texte prévoit que la responsabilité du professionnel de santé ne peut être engagée en cas de litige portant sur l’ignorance d’une information qui lui était masquée et dont il ne pouvait légitimement avoir connaissance par ailleurs. A contrario, le médecin qui ne tient pas compte d’une information inscrite au DMP ou que ne consulte pas le DMP ou encore qui ne remplit pas le DMP pourrait voir sa responsabilité engagée en cas de dommage subi par le patient. Quelques jurisprudences ont déjà retenu la responsabilité soit du professionnel soit de la structure en cas de mauvaise tenue du dossier médical[16]. A fortiori la tenue et l’utilisation du DMP devraient suivre la même logique.
Le DMP, un dispositif qui s’inscrit dans une politique d’évolution numérique
La promotion de la qualité, de la pertinence et de l’efficience des soins est une des ambitions principales de la politique menée le gouvernement dans le cadre de la modernisation de notre système de santé[17]. Le DMP s’intègre pleinement aujourd’hui dans le virage numérique de la stratégie de santé et c’est sans doute aussi la raison de l’accélération de sa mise en place. Il est l’élément de base d’un « Espace numérique personnel de santé » comportant de nouvelles fonctions numériques développées par la réforme du système de santé intitulée « Ma santé 2022 ». Il tient compte de l’intervention croissante des outils digitaux dans tous les aspects de la vie des usagers citoyens. Il doit devenir un des supports essentiels de la prise en charge, en connexion avec l’ensemble des autres outils, tels que le dossier pharmaceutique dont il est complémentaire, en rendant son titulaire véritablement acteur et responsable de sa prise en charge.
Mais, le DMP doit aussi trouver sa place et s’ancrer dans les pratiques des professionnels au même titre que le dossier médical informatisé hospitalier, bien que celui-ci rencontre aussi bien des obstacles à son complet développement, sans pour autant endosser le rôle d’un « sur-dossier » ou un dossier de plus. Dès lors, pour que le DMP soit pleinement efficace, il faut que l’ensemble du système soit réactif. A savoir que les logiciels et/ou les interfaces permettent un remplissage rapide pour les professionnels et que ceux-ci jouent le « jeu » en saisissant les données. L’avenir du Dossier médical partagé est-il enfin assuré ? C’est sans doute ce qu’entend réaliser le dispositif « Ma santé 2022 » notamment dans son rapport final sur l’accélération du virage numérique [18]. Mais c’est aussi et surtout à l’épreuve de la pratique que l’on pourra véritablement analyser la réussite du DMP comme outil de prise en change de la santé des usagers.
[1] Discours de la ministre de la santé Agnès Buzyn du 6 novembre 2018 :
https://solidarites-sante.gouv.fr/…/discours/…/discours-d-agnes-buzyn-conference-de-…
[2] En comparaison avec le Dossier pharmaceutique créé en 2015 le chiffre annoncé de création est de 37 683 275 de DP actifs 99,9 % des pharmacies sont connectées au DP, soit 21 689 officines. (site de l’ordre des pharmaciens/dossier pharmaceutique
[3] On rappellera que l’avenant conventionnel n°11 prévoit la rémunération de la pharmacie pour chaque ouverture de dossier médical partagé (DMP) à hauteur de un euro par dossier et certains éditeurs de logiciels ont déjà développé cette fonctionnalité
[4] Article R1112-2 du csp
[5] Pour exemples article R4127-45 du Csp pour les médecins, et article R4312-28 du csp pour les infirmiers…
[6] Il en est de même pour le dossier pharmaceutique R1111-20-4 du CSP.
[7] L’article L1110-12 du CSP définie l’équipe de soins et son champ d’application notamment en établissement de santé, au sein d’une coopération, en ville… . Ce texte est complété par l’article D. 1110-3-4 du CSP
[8] Idem
[9] https://www.ameli.fr/medecin/sante-prevention/dossier-medical-partage/dmp-tout-ce-que-professionnels-de-sante-doivent-savoir
[10] L’article L1111-15 en particulier
[11] On notera l’aspect impératif du report imposé par l’article L1111-15 du CSP
[12] Il s’agit sans doute ici des recommandations de la HAS relative à la lettre de liaison de sortie prévue à l’article L1112-1 également crée par la loi de modernisation de notre système de santé et précisé par l’article et R1112-1-2 qui prévoit que la lettre de liaison de sortie soit versée au DMP.
[13] Sur ce point, et sauf erreur, aucune référence ou guide de la HAS n’est encore paru.
[14] Article R1111-36.
[15] revue-hospitaliere.fr/Actualites/Le-DMP-du-cote-des-etablissements-de-sante
[16] Tr. Adm. de Marseille, 2 mai 2000, Mme. Strumeyer, Tr. Adm. de Strasbourg, 5 décembre 2001, M. Marcadella, Conseil d’Etat n° 238181 28 avril 2003, M. PATOIR
[17] Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé
[18] solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/masante2022_rapport_virage_numerique.pdf