Article – Le groupement territorial social et médico-social, un presque GHT pour le secteur médico-social ?

Catégorie : Organisation sanitaire et médico-sociale Statuts des personnels hospitaliers
Date : 20/07/2023

Kelly Vang, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH


Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 627 – juin 2023

Le 29 mars 2023, l’Agence nationale de la performance sanitaire et médico-sociale (ANAP) a publié un rapport qui invite les établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS) aux regroupements mais aussi, et surtout, aux coopérations. Les groupements de coopération sociaux et médico-sociaux (GCSMS) sont notamment préconisés pour l’adaptabilité et l’agilité qu’ils permettent dans la gestion et la mutualisation des fonctions. La complexité d’un tel montage est reconnue et soulignée mais l’ouverture des possibilités rend cet outil davantage recommandé par rapport aux autres formes de coopérations.

C’est dans cet objectif que s’inscrivent les derniers dispositifs prévus par la proposition de loi « Mesures pour bâtir la société du bien vieillir en France », notamment avec les amendements 1380 modifié et 1391, adoptés en séance le mercredi 12 avril 2023. Ils imposent aux ESMS de se réunir au sein d’un même Groupement territorial social et médico-social (GTSMS), peu ou prou à l’instar des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) connus dans le domaine sanitaire.

L’alliance de ces établissements en GTSMS permettrait de faire face à un phénomène d’atomisation qui touche aujourd’hui les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) publics ; contrairement aux structures privées qui ne font pas face à un paysage aussi morcelé.

Ce nouveau dispositif devrait entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2025, si la loi est adoptée, et prévoit une période transitoire de 3 ans. Il ne sera imposé que sur le territoire métropolitain, l’obligation ne s’appliquant pas aux territoires et collectivités d’outre-mer.

Cependant, l’outil est pour l’heure, à examiner au conditionnel, le texte étant toujours en cours d’examen devant le Parlement.

1- PRESENTATION DU DISPOSITIF 

L’amendement 1380 prévoit l’introduction d’une nouvelle section 4 bis : Coopérations et une sous-section unique : Groupement territorial social et médico-social, au sein du Code de l’action sociale et des familles (CASF). Ces dispositions (nouveaux articles L.312-7-2 à L.312-7-7) prévoient les modalités de création et de fonctionnement des GTSMS ; et notamment, laissent aux ESMS le choix entre adhérer à un GHT ou à un GTSMS ; l’adhésion à l’un ou à l’autre restant néanmoins obligatoire.

L’amendement 1391 ne vient que rectifier l’amendement 1380 en ce sens :

« Le groupement territorial social et médico-social pour personnes âgées est constitué à l’initiative des établissements et services mentionnés au I. Le territoire d’implantation choisi par le groupement lui permet d’assurer une réponse de proximité aux besoins des personnes âgées et de mettre en œuvre un parcours coordonné des personnes âgées et accompagnées. »

Le périmètre géographique d’un GTSMS serait donc laissé à la libre appréciation des établissements le constituant, sauf à ce que, sur le terrain, les Agences Régionales de Santé (ARS) orientent fortement la détermination de ce périmètre, comme cela a été fait pour les GHT…

A – UNE OBLIGATION POUR UNE APPLICATION EFFECTIVE

Seuls certains établissements seraient concernés par cette obligation :

  • Les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale[1] ;
  • Les établissements qui accueillent des personnes âgées dépendantes[2] ;
  • Les « petites unités de vie »[3].

De plus, tous les EHPAD publics ne seraient pas concernés par cette nouveauté. Les EHPAD gérés par les centres communaux d’action sociale (CCAS) et centres intercommunaux d’action sociale (CIAS) seraient exclus de son champ d’application. Toutefois, ceux-ci, tout comme les EHPAD rattachés aux établissements publics de santé (EPS) auraient la possibilité d’intégrer un GTSMS. Cette intégration sur la base du volontariat pourrait être encouragée par les possibilités qu’offriraient les GTSMS, notamment les mutualisations de fonctions et de personnels.

Hormis les EHPAD publics, sont aussi visés d’autres établissements qui pourraient adhérer aux GTSMS, sur accord du directeur général de l’ARS :

  • Les établissements ou services d’enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social et médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation ;
  • Les établissements ou services :

– D’aide par le travail,

– De réadaptation, de préorientation et de rééducation professionnelle,

  • Les établissements et services, y compris les foyers d’accueil médicalisés, qui accueillent des personnes handicapées, quel que soit leur degré de handicap ou leur âge, ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert.
  • Les établissements et services privés (EHPAD et établissements spécialisés dans le handicap, y compris maisons d’accueil spécialisées) pourraient être partenaires d’un GTSMS par convention.

Des dérogations ont néanmoins été prévues afin de permettre aux EHPAD « issus de la fusion de plusieurs établissements publics » de ne pas adhérer à un GTSMS.[4]

La notion d’EHPAD issus d’une fusion mériterait un peu plus de précisions. En effet, cette idée impliquerait que les EHPAD ayant procédé à des fusions entre plusieurs ESMS pourraient ne pas adhérer aux GTSMS ; quand bien même, l’issue de ces opérations aboutirait finalement à la création d’une entité juridique « centralisatrice ». Cet établissement fusionné resterait donc isolé et la concentration des ESMS ne serait pas optimale. De plus, les modalités ne sont pas claires : à quand pourrait remonter la fusion qui fonde l’exonération ? Pendant combien de temps ouvrirait-elle droit à une dispense d’adhésion au GTSMS ?

La même dérogation est prévue pour les établissements présentant une spécificité dans l’offre départementale d’accompagnement des personnes âgées.

B – LA CREATION DU GTSMS

Le GTSMS serait créé par la signature d’une convention constitutive soumise à l’approbation du directeur général de l’ARS. Cette convention devra être conforme au projet régional de santé[5].

L’objet du GTSMS fait écho à celui du GHT. En effet, on y retrouve la volonté d’une stratégie commune d’accompagnement des personnes âgées, similaire à la « stratégie de prise en charge commune et graduée du patient »[6] prévue pour les GHT. Il en va de même pour l’objectif de rationalisation des modes de gestion par la mise en commun de fonctions, prévu pour les deux dispositifs.

De plus, à l’instar du GHT où la conclusion d’un projet médical partagé est obligatoire ; le GTSMS devra rédiger un « projet d’accompagnement partagé ».

Enfin, les textes prévoient explicitement que le GTSMS devra adopter la forme juridique du GCSMS. A cet effet, il pourra assurer les mêmes missions :

  • « Permettre les interventions communes des professionnels des secteurs sociaux, médico-sociaux et sanitaires, des professionnels salariés du groupement ainsi que des professionnels associés par convention ;
  • Être autorisé, à la demande des membres, à exercer directement les missions et prestations des établissements et services […] et à assurer directement, à la demande de l’un ou plusieurs de ses membres, l’exploitation de l’autorisation après accord de l’autorité l’ayant délivrée ;
  • Être chargé de procéder aux fusions et regroupements […] ;Créer des réseaux sociaux ou médico-sociaux avec les personnes mentionnées au premier alinéa et adhérer à ces mêmes réseaux ou aux réseaux et groupements de coopération ou d’intérêt public […] ;
  • Être chargé pour le compte de ses membres des activités de pharmacie à usage interne […]. »[7]

C – LE FONCTIONNEMENT DU GTSMS

Le GTSMS, qui devrait prendre la forme juridique du GCSMS, serait dirigé par un directeur d’établissement sanitaire, social ou médico-social nommé par le directeur général de l’ARS, après avis du président du conseil départemental et sur proposition de l’assemblée générale (AG). En l’absence de proposition de l’AG, seul l’avis de la collectivité serait pris en compte. Il serait alors nécessaire de recueillir l’avis de tous les présidents des conseils départementaux concernés dans le cas d’un GTSMS interdépartemental.

Le directeur nommé serait chargé du pilotage des fonctions exercées par le groupement pour le compte de ses membres et le représenterait. Il élaborerait également son budget, approuvé par l’AG. Le GTSMS disposerait donc d’un budget autonome, pourrait se constituer des fonds propres et recourir à l’emprunt.

Enfin, il pourrait être employeur, à la différence du GHT, et les recrutements seraient assurés par le directeur.

2 – UN DISPOSITIF « GHT 2.0 »

A – VERS UNE COOPERATION ORGANIQUE ET PLUS SEULEMENT CONVENTIONNELLE

Dans le cadre des débats parlementaires sur la proposition de loi, il a été question de ne pas reproduire les erreurs commises avec le GHT. En effet, la mise en place de ces derniers a été très hétéroclite et leur maturité n’est pas identique sur tous les territoires.

Ainsi, une rectification majeure a été apportée avec le GTSMS : celui-ci ne prendrait plus uniquement la forme juridique d’une coopération conventionnelle mais au contraire, d’une coopération organique, sur le schéma des GCSMS. 

Le GTSMS conduirait donc les établissements à créer une nouvelle entité juridique, pouvant notamment détenir un patrimoine et un budget propre et assurer une gestion centralisée par le biais d’une nouvelle gouvernance.

B – L’ABSENCE DE CONTRAINTE DANS LES MUTUALISATIONS 

Seconde nouveauté issue de l’expérience des GHT : les mutualisations ont été réintroduites mais de manière facultative. Alors que pour les GHT, certaines fonctions sont obligatoirement mutualisées, pour les GTSMS, les textes ne proposent qu’une liste de matières, à charge pour les établissements de sélectionner les plus pertinentes.

Afin de s’assurer tout de même un minimum de mutualisations, le texte en discussion imposerait que le GTSMS assure pour le compte de ses membres, au moins une fonction parmi les suivantes :

  • Le système d’information : convergence des systèmes d’information des membres et mise en place d’un dossier usager permettant une prise en charge coordonnée,
  • La formation continue des personnels,
  • La démarche qualité et la gestion des risques,
  • La gestion des ressources humaines,
  • Les achats,
  • La gestion budgétaire et financière,
  • Les services techniques.

Encore une fois, ces fonctions sont proches de celles prévues dans le cadre des GHT et assurées par l’établissement support pour le compte des établissements parties. 

Au-delà de ces matières, la convention constitutive pourrait prévoir d’autres fonctions mutualisées, notamment les marchés publics. Dans la même logique de partage de compétences, le GTSMS pourrait présenter un plan pluriannuel d’investissement et un plan de financement pour le compte d’un ou plusieurs de ses membres. Le GTSMS se substituerait donc, pour ces matières, à certains (ou à la totalité) de ses membres ; au risque de créer des disparités au sein d’un même groupement, ce qui complexifierait sa gestion.

Cette contrainte très allégée de mutualisation est sûrement liée au fait que les GHT n’ont, pour le moment, pas tous réussi à finaliser leurs mutualisations. Les GTSMS pourraient donc y procéder de manière graduée et selon leurs besoins.

En conclusion, le GTSMS, que nous pouvons assimiler à un « GHT 2.0 », pourrait constituer un outil juridique de réponse au phénomène d’atomisation des ESMS publics. Toutefois, il ne faut pas oublier que la matière s’intéresse à des structures souvent plus petites et disposant de ressources moins importantes que dans le domaine sanitaire. Elles se retrouveront donc forcément limitées à un certain point pour construire le GTSMS, qui appellera une mobilisation de moyens, d’expertises et un investissement en temps notables. Enfin, leur mise en place devra nécessairement être anticipée afin de ne pas marquer un changement trop brutal pour les établissements concernés.


[1] Article L312-1, I, 6°, du CASF

[2] Article L313-12, I, du CASF

[3] Article L313-12, II, du CASF

[4] Article L6132-1, I, du Code de la santé publique (CSP)

[5] Article L312-7-2, III, du CASF

[6] Article L6132-1, I, du CSP

[7] Article L312-7 du CASF