Isolement, contention, confinement strict en chambre : l’actualité sur la privation de liberté en psychiatrie
Aude Charbonnel, juriste, consultante au Centre de Droit JuriSanté du CNEH
Hasard du calendrier ? Le 19 juin 2020, il y a eu deux publications importantes relatives à la privation de liberté en psychiatrie. La première, très attendue, est la décision du Conseil constitutionnel qui déclare l’article du code de la santé publique relatif à l’isolement et à la contention contraire à la Constitution. La seconde émane du Contrôleur général des lieux de privation de liberté suite au constat d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans un établissement de santé mentale, résultant d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique et le confinement sanitaire.
- Vers un contrôle judiciaire des mesures d’isolement et de contention psychiatriques A propos de la décision du Conseil constitutionnel n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 mars 2020 par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L3222-5-1 du code de la santé publique relatif à l’isolement et la contention psychiatriques (créé par la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé).
Pour rappel cet article prévoit que « L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin ».
L’hypothèse d’un contrôle des mesures d’isolement et de contention par le juge a fait l’objet de nombreux débats ces dernières années et divisée les commentateurs. La Cour de cassation dans un arrêt du 7 novembre 2019[1], avait fini par trancher en affirmant que «qu’il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention [JLD] de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale, distincte de la procédure de soins psychiatriques sans consentement qu’il lui incombe de contrôler (…) Il s’en déduit que cette mesure médicale échappait au contrôle du juge des libertés et de la détention ».En effet, le JLD ne dispose pas des compétences légales rappelées par l’article L. 3216-1 du code de la santé publique pour contrôler une décision médicale. Son rôle est de contrôler l’application de la loi du 5 janvier 2011 (modifiée) à savoir les modalités juridiques d’entrée, de maintien, et de sortie des patients pris en charge en soins sans consentement. Dès lors, la Haute juridiction a conclu le JLD n’était pas compétent pour lever une mesure de soins contraints du fait du non-respect des conditions posées par l’article L. 3222-5-1[2].
Dès lors, si un patient souhaitait contester les conditions juridiques de la décision d’isolement et de contention ou sa légitimité, il pouvait bien évidement mais par des procédures distinctes de celle prévues pour le contrôle du respect de la loi de 2011.
La Cour de cassation avait rappelé la stricte interprétation de la loi mais cette dernière était-elle conforme à la Constitution ? Et c’est d’ailleurs la Haute juridiction elle-même qui finalement a interrogé le Conseil constitutionnel sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique en ce qu’elles ne prévoient pas de contrôle juridictionnel systématique des mesures d’isolement et de contention mises en œuvre dans les établissements de soins psychiatriques.
Si la Cour de cassation ne pouvait pas imposer un tel contrôle, le Conseil constitutionnel en revanche oui.
Dans leur décision, les Sages ont souligné que le législateur a bien prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée mais il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles, au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Or, l’article 66 de la Constitution prévoit que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. – L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».Soulignons que c’est sur la base de ce même article de la Constitution que le Conseil constitutionnel avait par deux décisions QPC imposé le contrôle systématique du juge pour les hospitalisations complètes en soins psychiatriques de plus de 15 jours (rapporté à 12 jours en 2013).[3]
Le Conseil constitutionnel a donc jugé contraire à la Constitution l’article L3222–5-1 du code de la santé publique. Toutefois, une abrogation immédiate de cet article, en ce qu’elle ferait obstacle à toute possibilité de placement à l’isolement ou sous contention des personnes admises en soins psychiatriques sous contrainte, aurait entraîné des conséquences manifestement excessives ; dès lors la date de l’abrogation est reportée au 31 décembre 2020.
Quelles mesures va prendre le Gouvernement pour régulariser les pratiques d’isolement et de contention et sous quel délai ? De nombreuses questions se posent suite à la lecture de la décision des Sages : qu’entend-on par « au-delà d’une certaine durée » ? Va-t-on imposer le contrôle du juge pour tout renouvellement de mesure d’isolement et de contention, à 24 heures par exemple ? Selon quelles modalités le juge devra-t-il être saisi ?, etc. Et quid de l’avenir des recommandations de bonnes pratiques relatives à l’isolement et la contention de la Haute Autorité de Santé publiées en février 2017[4]?
La décision du Conseil constitutionnel a d’ores et déjà été saluée par des associations d’usagers et le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)[5].
Ce dernier avait, dès 2016[6], souligné que toute décision d’isolement et de contention devait pouvoir être contrôlée par un juge. De même, dans un rapport récent, il a souligné que « le contrôle du juge n’a pas trouvé sa plénitude » et recommande que « le législateur [désigne] le juge compétent pour statuer sur les recours relatifs aux décisions de placement en isolement et [précise] la procédure du recours »[7].
On ne peut que partager les conclusions de Madame Hazan dans son communiqué publié le 19 juin sur la décision du Conseil constitutionnel: « Le législateur est contraint d’agir dans les six prochains mois[8] ; souhaitons qu’il mette cette occasion à profit pour s’emparer de l’ensemble de la question des droits fondamentaux des patients en soins sans consentement »[9].
- De la confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du Covid-19
A propos des recommandations en urgence du Contrôleur général des lieux de privation de liberté publiées le 19 juin 2020
Ce souhait du Contrôleur général des lieux de privation de liberté est sans surprise, d’autant plus qu’ont été publiées au journal officiel du 19 juin 2020 des recommandations en urgence à la suite d’une visite réalisée le 18 mai 2020 dans un établissement public de santé mentale. Lors de cette visite, le CGLPL a constaté des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées résultant d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du Covid-19. Ainsi, « des patients ont été enfermés à clé 24 h sur 24 sans que leur état clinique psychiatrique le justifie, sans décision médicale écrite émanant d’un psychiatre ni traçabilité et, au surplus, dans des espaces dangereux car non aménagés à cet effet. Ces patients ont été enfermés sur décision du médecin généraliste, prise sur le fondement de la circulaire Minsante99 du 9 mai 2020. Pourtant, le confinement strict en chambre fermée à clé n’est pas mentionné dans cette circulaire, mais les praticiens l’ont décidé en lui donnant un caractère systématique, prétendant que les patients de psychiatrie ne seraient pas à même de comprendre et de respecter les gestes barrière. Ces privations de liberté injustifiées et illégales ont été mises en œuvre dans des conditions indignes »[10].
Le Contrôleur a considéré qu’ « il demeure indispensable que des directives soient immédiatement adressées à l’ensemble des services de santé mentale afin de lever toute ambiguïté relative à l’interprétation de la notion de mesure de confinement sanitaire dans les unités d’hospitalisation. Il convient de rappeler la nature et le champ d’application des mesures de confinement et d’isolement psychiatrique et, en toute hypothèse, la proscription de l’enfermement de patients au titre du confinement sanitaire, quel que soit leur statut d’admission ».
A noter que le Ministère des solidarités et de la santé a publié le 5 juin 2020 une fiche qui vise à proposer des éléments de repères destinés à favoriser le respect de la liberté d’aller et venir en psychiatrie durant la période de déconfinement malgré la poursuite de la circulation du COVID-19[11]. Il est précisé que « Les pratiques de restriction de la liberté d’aller et venir mises en place durant la période de confinement doivent donc être régulièrement interrogées afin de ne pas conduire à une forme de confinement psychique préjudiciable à la prise en charge psychiatrique, au respect des droits du patient et de son projet thérapeutique. L’utilisation de la chambre d’isolement pour un patient entrant au seul motif de son statut d’entrant à risque viral potentiel doit être proscrite ».
Rendez-vous prochainement sur notre blog pour commenter les mesures décidées pour régulariser les pratiques d’isolement et de contention psychiatriques… voire davantage !
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Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à consulter le site internet du CNEH (www.cneh.fr) ou contacter Nadia Hassani, assistante du Centre de droit JuriSanté, (01 41 17 15 43 – nadia.hassani@cneh.fr).
[1] C. cass., 7 nov. 2019, req. n° 19-18.262
[2] A ce sujet : Blog JuriSanté, BILLET D’HUMEUR – Mesure d’isolement et contention malmenées par les juges, ou comment la cour de cassation rétablit la sécurité juridique des textes, arrêt n° 1020 de la 1ère ch.cv. du 7 novembre 2019 req n° 1918.262, Isabelle GENOT-POK.
[3] Décisions n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010 et n° 2011-135/140 QPC du 9 juin 2011
[4] https://www.has-sante.fr/jcms/c_2055362/fr/isolement-et-contention-en-psychiatrie-generale
[5] Communiqué du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 19 juin « Contrôle du juge judiciaire sur les mesures d’isolement et de contention en psychiatrie » : https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2020/06/20200619_Communiqué-Conseil-constitutionnel_isolement-psychiatrie.pdf
[6] CGLPL, Rapport « Isolement et contention dans les établissements de santé mentale », 2016, https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2016/05/CGLPL_Rapport-isolement-et-contention_Dalloz.pdf
[7]CGLPL, Rapport « Soins sans consentement et droits fondamentaux », 17 juin 2020
[8] Et avant le 31 décembre 2020
[9]https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2020/06/20200619_Communiqué-Conseil-constitutionnel_isolement-psychiatrie.pdf
[10] CGLPL, Recommandations en urgence du 25 mai 2020 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté relatives à l’établissement public de santé mentale Roger Prévot de Moisselles (Val- d’Oise), NOR : CPLX2014877X, JO 19 juin 2020
[11] Ministère des solidarités et de la santé : FICHE ETABLISSEMENT DE SANTE RESPECT DE LA LIBERTE D’ALLER ET VENIR DES PATIENTS DANS LES SERVICES DE PSYCHIATRIE EN PERIODE DE DECONFINEMENT
https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/covid-19_fiche_lav_psy.pdf