Billet d’humeur – Le registre des isolements et des contentions en psychiatrie est un document communicable. A propos de la décision du Conseil d’État du 18 Novembre 2021 (n° 442348).
Aude Charbonnel, juriste consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH
Dans son billet d’humeur publié sur ce blog en mai dernier, Isabelle Génot-Pok posait la question de la communication du registre des isolements et de la contention des établissements psychiatriques, « Qui de la CADA ou du Conseil d’Etat aura le dernier mot ? »[1] . La réponse est tombée le 18 novembre 2021 et, surprise, la Haute juridiction aligne son analyse sur celle de l’autorité administrative indépendante chargée de veiller à la liberté d’accès aux documents administratifs.
Pour mémoire, l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (CSP) prévoit qu’un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie. Ce registre mentionne, pour chaque mesure d’isolement ou de contention, le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d’hospitalisation, la date et l’heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée.
Depuis plusieurs années, l’association Commission des citoyens pour les droits de l’homme (CCDH) – à ne pas confondre avec la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) – demande régulièrement la communication de ce registre aux établissements de santé.
Si, de façon constante, la commission d’accès aux documents administratifs (CADA) et le Ministère de la santé[2] considèrent que le régime de droit commun s’applique pour la communication de ce document (rappelons ici que les avis de la CADA ne sont pas contraignants), le Conseil d’Etat, saisi en cassation, semblait lui reconnaître, dans sa décision du 31 mars 2021[3], un régime spécial de consultation selon les dispositions du code de la santé publique. On pouvait alors s’attendre à ce que la Haute juridiction désavoue la CADA, comme elle a pu le faire dans le passé.
Mais, dans la décision du 18 novembre 2021[4], les juges du Palais-Royal affirment que les dispositions du code des relations entre le public et l’administration (CRPA) sont bien applicables en l’espèce.
Ainsi, concernant les dispositions de l’article L. 3222-5-1 du CSP qui prévoient, d’une part, que le registre de contention et d’isolement doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires et, d’autre part, que le rapport annuel rendant compte de ces pratiques est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l’établissement, le Conseil d’Etat considère qu’elles « n’ont ni pour objet ni pour effet de soustraire ces documents aux règles du code des relations entre le public et l’administration régissant le droit d’accès aux documents administratifs. Il s’ensuit que ces dispositions ne sont pas applicables au litige, lequel porte exclusivement sur la communicabilité de ces documents ».
Les établissements de santé mentale sont donc tenus de communiquer leur registre à tout demandeur ; son contenu ne se réduisant pas à des mentions non communicables.
Dès lors, en application des articles L. 311-6 et L. 311-7 du CRPA, les informations permettant d’identifier les patients doivent être occultées préalablement à la communication du registre de contention et d’isolement, pour préserver le secret médical et la protection de la vie privée, comme doivent également l’être celles permettant d’identifier les soignants, pour éviter que la divulgation d’informations les concernant puisse leur porter préjudice. Mais les dates, les heures et la durée de chaque mesure de contention ou d’isolement ne sont pas des informations soumises à occultation préalable avant leur communication.
Le Conseil d’Etat prend donc position sur la communication du registre en décidant d’appliquer le CRPA. Cette décision du 18 novembre 2021 traite uniquement de l’accès aux données et ne préjuge pas de l’exploitation de celles-ci par le demandeur.
Quid de l’argument d’une charge de travail déraisonnable pour les établissements de santé mentale ?
A noter que l’article L. 311-2 du CRPA prévoit que « L’administration n’est pas tenue de donner suite aux demandes abusives, en particulier par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique ». Le Conseil d’Etat, dans une décision de 2018, a précisé que « revêt un caractère abusif la demande qui a pour objet de perturber le bon fonctionnement de l’administration sollicitée ou qui aurait pour effet de faire peser sur elle une charge disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose »[5]. Concernant la CADA, pour que la demande soit déclarée comme abusive, il faut, tout d’abord, que l’administration s’en prévale, de préférence par écrit. Si cette condition est remplie, la CADA mobilise alors le faisceau d’indices, et notamment, la volonté de nuire à l’administration ou de la mettre, eu égard à son importance, dans l’impossibilité matérielle de traiter les demandes[6].
Pour bénéficier de cet argument, l’établissement de santé devrait donc démontrer en quoi la demande de communication du registre pourrait entraîner une charge disproportionnée de travail… sachant que le registre doit être établi sous forme numérique (article L. 3222-5-1 du CSP).
Enfin, il est important de préciser que, sauf accord de l’administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées (article L. 322-1 du CRPA).
[2] Réponse du ministère de la santé n° PEGASE n° D-19-024809 en date du 24 février 2020 aux courriers reçus par de nombreux établissements de santé mental, sollicités pour transmettre leur registre et rapport
[5] Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 14/11/2018, 420055
[6] https://www.cada.fr/administration/le-respect-des-modalites-de-communication