Billet d’humeur – L’indépendance des mesures d’isolement (et de contention) et des mesures de soins contraints. Point sur le dernier avis de la Cour de cassation (avis 1ère civ. n° 15012 du 08 juillet 2021)

Catégorie : Psychiatrie et santé mentale
Date : 28/07/2021

Isabelle Génot Pok, juriste consultante au Centre de droit JuriSanté du CNEH

La Cour de cassation a récemment été interrogée par les magistrats de Versailles sur un sujet qui pourtant paraissait clair dans la loi : quelles peuvent être les conséquences d’une irrégularité dans la mise en place d’une procédure d’isolement (et de contention) si celle-ci fait l’objet d’une levée, sur la mesure de soins contraints ? De manière plus directe : la levée d’une mesure d’isolement (et de contention) pour irrégularité entraine-t-elle de facto celle de soins contraints ?

Or, il semblait que la loi[1] avait été limpide sur ce point, puisque l’article L3211-2 du code de la santé publique (CSP) dispose notamment que :

«  I.-Le juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel se situe l’établissement d’accueil peut être saisi, à tout moment, aux fins d’ordonner, à bref délai, la mainlevée immédiate d’une mesure de soins psychiatriques prononcée en application des chapitres II à IV du présent titre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale, quelle qu’en soit la forme.

Il peut également être saisi aux fins de mainlevée d’une mesure d’isolement ou de contention prise en application du troisième alinéa du II de l’article L. 3222-5-1 (…)

III.-Le juge des libertés et de la détention ordonne, s’il y a lieu, la mainlevée de la mesure d’hospitalisation complète, d’isolement ou de contention ».

Si les mesures d’isolement et de contention peuvent également faire l’objet d’un contrôle par le juge dans le cadre de celui qu’il effectue sur les hospitalisations complètes, on ne trouve nulle part dans ce texte, ou dans un autre, le fait que le juge doive lever la mesure de soins contraints dès lors que la mesure d’isolement le serait.

Aussi, pour répondre à cette question « sérieuse », la Cour de cassation organise son raisonnement en deux temps:

D’une part, elle rappelle les conditions juridiques posées aux articles L3222-5-1, I, L3222-5-1, II, al. 3 et L3211-12-1 du CSP concernant les mesures d’isolement et de contention, leur renouvellement ainsi que leurs conditions quant à la saisine et le contrôle du juge des libertés et de la détention (JLD).

D’autres part, elle retient que les mesures d’isolement (et de contention) ont une double nature, médicales puisque « décidées par un psychiatre », et exceptionnelles puisque « de dernier recours ». De ces deux caractéristiques intrinsèques, en découle leur autonomie. La Cour précise qu’elles « présentent un caractère autonome à l’égard de la décision de soins psychiatriques sans consentement prise par le directeur de l’établissement de santé, ou le représentant de l’Etat dans le département ou l’autorité judiciaire ».

En effet, ces deux mesures sont de nature différentes l’une de l’autre, par le simple fait qu’elles ne répondent pas aux mêmes impératifs, ni aux mêmes conditions juridiques et de soins, ni ne sont prononcées par les mêmes autorités. Trois raisons qui en font des mesures indépendantes.

La Haute Cour conclue donc logiquement que lorsque le juge des libertés et de la détention constate une irrégularité concernant la mesure d’isolement et de contention, au cours d’une audience obligatoire faisant suite à une hospitalisation sans consentement, il peut décider de la mainlevée de l’une ou de l’autre et non systématiquement des deux.

Dès lors pourquoi avoir posé cette question ? Quelle nécessité pouvait-il y avoir ?  

On se rappellera que la jurisprudence des juges de Versailles verse régulièrement vers des tentatives de faire plier le texte uniquement en faveur de la défense de la liberté du patient[2], sans forcément tenir compte de son état de santé. Or, sachant les difficultés auxquelles sont confrontés les professionnels pour respecter les conditions de la mesure d’isolement (et qui vont s’accentuer davantage en 2022 [3]),  il serait aisé faire sortir un patient des soins contraints après avoir «subi » une mesure d’isolement et de contention irrégulière.

Quoi qu’il en soit la Cour de cassation tient son raisonnement et donne une lecture conforme à la loi.

Que retenir de ce nouvel avis? Si l’isolement et la contention exigent une attention particulière du JLD, celui-ci les contrôle indépendamment de la mesure de soins contraints.

Mais l’affaire est-elle close pour autant ?

Il faut demeurer prudent car l’avis de la Cour pourrait être suspendu par la nouvelle législation attendue d’ici fin 2021. Cette question fera-t-elle aussi l’objet d’une réforme ? 

Affaire à suivre….


[1] Article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

[2] La Cour de cassation a déjà dû rectifier les velléités des magistrats des juridictions de Versailles. Par exemples: C. cass 14/03/2018 (l’absence de preuve de l’examen somatique ne peut entraîner la mainlevée de la mesure), C. cass 16/06/2017 (un médecin non psychiatre de l’hôpital d’accueil du patient peut être certificateur initial d’une mesure de SDRE).

[3] Décision du Conseil constitutionnel du 4 juin 2021 (décision n° 2021-912/913/914 QPC).