Article – La réforme des soins sans consentement: tout sauf un long fleuve tranquille ! Retour sur les dix ans d’application de la loi du 5 juillet 2011
Aude Charbonnel et Isabelle Genot-Pok, juristes, consultantes au Centre de droit JuriSanté du CNEH
Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n°608 – septembre 2021
Dix ans déjà ! Et tous les mécontentements sur la réforme des soins psychiatriques sans consentement ont été exprimés avant, pendant et bien après sa publication le 6 juillet 2011 et son entrée en vigueur moins de trois semaines après, le 1er août 2011. Après dix ans d’application, qu’en est-il réellement ? Quels bénéfices de la loi pour les patients ? Quels points d’achoppement juridiques et organisationnels existent encore ou se révèlent à l’épreuve de la pratique ?
Présentée comme la solution aux obstacles à l’accès aux soins si décriés antérieurement, et comme assurant un meilleur respect des droits de la personne, tant dans l’assurance du choix médical que dans la garantie de la nécessaire privation de liberté, la loi du 5 juillet 2011 proposait une nouvelle organisation autour de la prise en charge du patient, conforme à l’évolution de la psychiatrie. Aussi ses ambitions de protection des droits du patient, via un rééquilibrage entre sa situation et celle des professionnels, passaient-elles par :
- le maintien des deux modes de prise en charge : soins sur demande d’un tiers en urgence (SDTU) et soins sur décision du représentant de l’État (SDRE) ;
- une entrée dans les soins facilitée (procédure de péril imminent – SPI) ;
- la mise en œuvre d’une période d’observation « légale » permettant de s’assurer que le patient bénéficie de soins adaptés à son état de santé ;
- le contrôle systématique du juge des libertés et de la détention (JLD) en cas d’hospitalisation complète, nonobstant le droit de chacun de le saisir à tout moment ;
- un tiers plus légitime et meilleur garant des intérêts de la personne ;
- la compétence affirmée du médecin ;
- les responsabilités renforcées du directeur ;
- un préfet toujours présent mais dont la compétence peut être liée dans certaines situations ;
- la possibilité de bénéficier d’un programme de soins, modalité de soins alternative à l’hospitalisation complète ;
- la volonté d’éviter les conflits de compétence entre l’administration et le judiciaire.
Sur ces différents points louables, garantissant au patient d’éviter toute décision arbitraire, se greffe cependant une procédure très « serrée » engendrant de multiples documents. Un reproche est formulé de façon unanime par tous les acteurs de la psychiatrie : la lourdeur administrative, et donc un temps considérable passé à rédiger des certificats et avis médicaux [1] plutôt qu’à être auprès du patient et à soigner, dans un contexte de pénurie médicale. Est-ce le prix à payer pour préserver les droits du patient restreint ou privé de certaines de ses libertés ? Le regard des professionnels sur la loi est clair : elle est bien trop chronophage et nécessite des moyens humains et financiers qui, depuis dix ans, n’ont cessé d’être réduits.
Quel chemin parcouru depuis les prémices de la loi !
La loi du 5 juillet 2011 constitue l’aboutissement d’un long processus de réforme de la loi Evin du 27 juin 1990, après plusieurs rapports et tentatives de réformes inachevées sous les législatures précédentes. Cette loi relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation [2] avait réformé la loi du 30 juin 1838 sur les « aliénés », dite « loi Esquirol » [3] et consacré le principe de « l’hospitalisation libre » comme régime général de la prise en charge du patient nécessitant des soins psychiatriques. Il était donc bien établi que ces patients bénéficiaient dans ce texte des mêmes droits que tout autre patient pris en charge pour une autre pathologie.
Par ailleurs, la loi Evin, tout en modernisant la notion d’hospitalisation en psychiatrie et en posant le principe de l’hospitalisation libre, faisait demeurer deux modes d’hospitalisation sans consentement : l’hospitalisation sur demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office (HO).
Enfin, ce texte portait en lui l’obligation d’être réévalué dès 1995, soit cinq ans après. Or, quelle que fut la qualité du rapport d’évaluation effectué par Martine Strohl [4], aucune recommandation ne fut reprise pour modifier la loi Evin. Il aura fallu attendre la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé pour que la loi de 1990 soit quelque peu retouchée [5].
Dès lors, il était nécessaire d’aller plus loin dans la prise en compte des droits des patients et la modification des soins sous contrainte. Par ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) avait condamné la France, notamment pour le préjudice moral causé au patient de fait du retard du juge à statuer sur les demandes de mainlevée d’une décision préfectorale d’HO [6]. Elle avait également pointé les dysfonctionnements que la difficulté d’articulation dans le droit français des décisions relevant de la compétence du juge administratif judiciaire a pu entraîner, notamment quand elles ont pour conséquence d’empêcher un justiciable de faire valoir ses droits [7].
À noter que le texte n’a pas été soumis au Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle a priori de l’article 61 de la Constitution.
2011-2016 : une trajectoire chaotique
Un travail de refonte du texte de 1990 était engagé suite à la déclaration de Nicolas Sarkozy, président de la République, sur la réforme de l’hôpital psychiatrique, notamment la prise en charge des patients à risque, à Antony le 2 décembre 2008 [8], quand d’autres décisions sont venues en modifier l’économie générale. Ces dernières avaient pour finalité de renforcer le droit des personnes prises en charge sans leur consentement, et cette seule idée légitimait la modification du projet de loi en chantier.
C’est donc dans un premier temps – le 26 novembre 2010 [9] – que le Conseil constitutionnel, à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) [10], a déclaré inconstitutionnelles [11] les dispositions de l’article L. 3212-7 du code de la santé publique (CSP) en ce qu’elles permettaient qu’un patient puisse être maintenu plus de quinze jours en hospitalisation sans consentement sans l’intervention de l’autorité judiciaire, seule autorisée en droit français à priver un citoyen de sa liberté d’aller et venir. Il aura donc fallu introduire la procédure de contrôle obligatoire dans la réforme en projet pour satisfaire à l’exigence du Conseil constitutionnel qui, dans la même décision, annule ledit article et laisse au législateur jusqu’au 1er août 2011 pour adopter les modifications nécessaires de la loi de 1990 [12].
Enfin, ultime étape avant la promulgation de la loi, une seconde QPC, adoptée le 9 juin 2011 [13], et portant cette fois-ci sur les articles L. 3213-1 et L.3213-4 du CSP, lesquels ne prévoyaient pas de contrôle judiciaire suffisant dans les cas d’hospitalisation d’office. Cette décision permettait de s’aligner logiquement sur celle du 26 novembre 2010 et de traiter à égalité les patients quel que soit leur mode d’admission en soins sans consentement. Par ailleurs, il est à noter que ce dispositif applicable au 1er août 2011 portait en lui la nécessité de ne pas faire entrer en conflit l’autorité administrative et judiciaire en cas de mésentente entre le médecin et le représentant de l’État. Autrement dit, la loi devait permettre à l’autorité administrative de gérer seule ces conflits avant toute intervention du juge, quant à la mainlevée d’une mesure d’hospitalisation complète. À travers sa décision, le Conseil constitutionnel rejoignait l’avis du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) du 15 février 2011 sur la nécessité de faire intervenir le juge pour trancher le désaccord entre le médecin responsable du patient et le préfet. En conséquence de quoi, il a été ajouté dans le projet de loi, le 16 juin 2011, l’article L. 3213-9-1 en supplément de l’article L. 3213-5 existant qui prévoyait la saisine systématique du juge par le directeur en cas de conflit entre le préfet et le médecin [14].
Dès le départ, et bien que les établissements aient réussi en un temps record à mettre en place la loi au 1er août 2011 [15], elle semblait déjà poser un certain nombre de problèmes en ce qui concernait l’organisation nécessaire et la formation des professionnels. Mais surtout, dès son entrée en vigueur, le texte a généré de nombreuses difficultés de lecture et d’interprétation, engendrant plusieurs modifications nécessaires et une foire aux questions du ministère de plus de 30 pages [16] ! Les premières rectifications n’ont pas été longues à venir, comblant dès 2011 des oublis et imprécisions puisque le Conseil constitutionnel a, à nouveau, eu l’occasion de se prononcer assez rapidement. En effet, dès la fin d’année 2011, dans une décision du 6 octobre [17] relative à une hospitalisation d’office en urgence, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré l’article L. 3213-2 du CSP, dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011. Dans la logique de la nouvelle loi prônant la protection des libertés et la garantie de décisions non arbitraires, il a jugé contraire à la Constitution le fait que la privation de liberté puisse être prononcée sur le fondement de la seule notoriété publique. Donc exit le principe de 1990, dorénavant seul un avis médical peut être le support de l’arrêté municipal du maire.
Dans la foulée, les Sages ont rendu une deuxième décision le 21 octobre [18] où ils ont déclaré, à propos d’une levée d’hospitalisation d’office des personnes pénalement irresponsables (IP), l’article L. 3213-8 du CSP contraire à la Constitution dans sa rédaction antérieure à la loi du 5 juillet 2011 au motif « qu’en subordonnant à l’avis favorable de deux médecins le pouvoir du juge des libertés et de la détention d’ordonner la sortie immédiate de la personne ainsi hospitalisée, il a méconnu les exigences des articles 64 et 66 de la Constitution », et ce malgré la possibilité pour le législateur de prendre des dispositions particulières en ce qui concerne la prise en charge des patients IP.
Décidément, rien ne semblait suffisamment stable dans la loi du 2011. Mais l’égrainement des QPC ne se termine pas là [19]. Dans une autre décision [20] du 20 avril 2012, le Conseil a, à nouveau, déclaré certaines dispositions de la loi de 2011 contraires à la Constitution. Ainsi en est-il du délai de réexamen par le JLD des hospitalisations ordonnées par le juge (3° du paragraphe I de l’article L. 3211- 12-1) d’une part, du régime dérogatoire applicable à la sortie des personnes déclarées pénalement irresponsables et des personnes ayant séjourné en unités pour malades difficiles (UMD) (art. L. 3213-8) d’autre part [21]. Il en résultera l’abrogation des dispositions de l’article L. 3213-8 en ce qu’elles soumettaient à des règles dérogatoires plus rigoureuses (avis du collège et avis de deux autres experts), la sortie des malades séjournant ou ayant séjourné en UMD au cours des dix années précédentes sans pour autant en apporter la justification légale au regard d’autres patients qui pouvaient se retrouver dans cette même situation. S’il n’était pas contesté que les UMD hébergent des personnes difficiles voire dangereuses (objet de leur création), la difficulté tenait à ce que la loi ne définissait pas de critères précis pour l’accueil en UMD. Aussi le Conseil laissait-il au législateur la charge d’encadrer cette prise en charge spécifique, tout en reportant au 1er septembre 2013 la date de l’abrogation des deux textes. Cette QPC engendra donc la loi de 2013 dite « réforme de la réforme », deux ans après la promulgation de la loi !
Ainsi, la loi n° 2013-869 du 27 septembre 2013 a modifié certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011. Le législateur, enjoint de prendre certaines dispositions rectifiant les imperfections du premier texte, a maintenu, en apportant des garanties nouvelles, un régime dérogatoire de levée des soins des personnes ayant été déclarées pénalement irresponsables, mais avec une précision sur la gravité des faits commis sous l’empire des troubles mentaux afin de justifier d’un régime spécial plus dur en comparaison d’autres patients IP. En effet, le droit commun de la mainlevée restera applicable quand les faits commis auraient pu donner lieu à une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans pour les atteintes aux personnes et dix ans pour les atteintes aux biens. Au-delà de ces peines, un régime spécifique de mainlevée était maintenu (deux expertises et avis d’un collège) en vertu de l’article L. 3211-12 du CSP.
S’agissant des personnes placées en UMD, le Conseil a choisi de supprimer dans la loi toute mention de prise en charge en UMD, ramenant les UMD à un service, certes spécifique (disposant de mesures de sécurité particulières) mais intégrant malgré tout la psychiatrie générale sous contrainte. C’est pourquoi le CGLPL suggère en filigrane dans ses recommandations [22] que les droits du patient s’appliquent aux UMD comme dans les autres services de psychiatrie sous contrainte [23]. Il est apparu qu’il n’y avait pas davantage lieu de légiférer à propos d’un tel service de « soins intensifs » qu’à propos d’autres services tels quel la réanimation ou les urgences, par exemple.
En conséquence, la loi a ôté toute référence aux UMD en supprimant l’article L. 3222-3 du CSP. Rappelons que cette abrogation n’a nullement pour effet de supprimer ces unités ou de les priver de tout fondement juridique puisque celui-ci est réintégré aux articles R. 3222-1 à 7 du CSP. L’UMD subsiste donc simplement comme un service interne à l’administration psychiatrique et le passage en UMD pour un patient hospitalisé est sans conséquence sur le régime de levée des soins.
D’autres aspects de la loi ont été amendés en 2013 et 2014 en dehors de toute QPC. Ainsi en est-il :
- de la suppression de l’avis de sur les modalités de prise en charge (désormais intégré au certificat médical de 72 heures) ;»
- de la suppression de l’avis de huitaine jugé inutile ;
- de la mise en place du délai de saisine du JLD à 8 jours après la prise en charge des soins sans consentement pour décision au plus tard le douzième jour (et de la même manière pour les retours en hospitalisation complète, après un programme de soins) ;
- de la présence obligatoire de l’avocat à l’audience ;
- de la tenue des audiences au sein de l’établissement de santé prenant en charge le patient ou de la mutualisation des audiences dans un établissement (choisi par l’agence régionale de santé) ;
- de l’audience rendue plus systématiquement en chambre du conseil, notamment à la demande du patient ;
- de la suppression de la visioconférence.
Enfin, deux points essentiels :
- un relatif à la procédure de sortie des patients SDRE : la modification de la procédure de désaccord entre le préfet et le médecin ne vaut que pour les cas de sortie des soins contraints en hospitalisation (de l’HC à la sortie définitive – de l’HC au programme de soins) [24] et permet au JLD d’avoir le dernier mot ;
- concernant l’ensemble de la procédure, l’entrée de tout le contentieux relatif à la loi du 5 juillet dans la compétence du JLD.
Cette instabilité législative et réglementaire quasiment dès la mise en œuvre de la loi a démontré assez rapidement les difficultés posées par la question de l’encadrement juridique de la psychiatrie, bien que nécessaire, puisque est en jeu l’équilibre entre les droits fondamentaux du patient et les soins contraints privatifs de certains de ces droits.
C’était sans compter l’importante jurisprudence [25] qui découla inévitablement du contrôle du JLD et des appels engendrant eux-mêmes la saisine de la Cour de cassation dont les décisions ont pris le relais de l’interprétation de la loi à partir de 2014.
Mais dès 2012, la haute juridiction a confirmé, après l’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011, un principe de réparation intégrale du préjudice causé par la mesure irrégulière de soins psychiatriques sans consentement dès lors que l’illégalité de la mesure de soins est acquise (Cass. 1re civ., 5 déc. 2012 n° 11-24.527). D’où la nécessité d’une bonne maîtrise du dispositif juridique.
La Cour de cassation s’est ensuite prononcée entre 2014 et 2016, notamment sur :
- l’obligation de motiver la décision de donner un effet différé de 24 heures à une mainlevée judiciaire d’une mesure de soins sans consentement (Cass. 1re civ., 15 jan. 2015, n°13-26.758) ;
- le cas du péril imminent, imposant aux hôpitaux de rapporter la preuve de la recherche d’un tiers apte à agir dans l’intérêt du patient (Cass. 1re civ., 18 déc. 2014, n°13-24.924) ;
- le programme de soins qui ne peut avoir les caractéristiques d’une hospitalisation complète avec des sorties non accompagnées (Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 14-17.824) ;
- le certificat médical de maintien de la mesure de SDRE qui n’a pas à faire référence à l’ordre public, cette qualification relevant, sous le contrôle du juge, du seul préfet (Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n°14-14.604).
Précision importante apportée par la haute juridiction en 2014 : le juge ne peut prononcer la mainlevée de la mesure pour toute irrégularité constatée seulement, comme prévu par l’article L. 3216-1 du CSP, « lorsqu’il en est résulté une atteinte aux droits de la personne ». Il faut donc démontrer en quoi l’irrégularité a causé à la personne une atteinte à ses intérêts (Cass. 1re civ., 18 juin 2014, n° 13-16.363 et Cass. 1re civ., 28 mai 2015, n° 14-14.604). La différence entre irrégularité portant ou ne portant pas atteinte aux droits du malade est toutefois subtile…
Parfois, les positions de la Cour de cassation peuvent déstabiliser, par exemple en matière de défaut d’information. Ainsi, en 2014, elle jugeait que le défaut de notification et d’information aux personnes placées sous mesures de contrainte psychiatrique, sur les mesures qu’elles subissent, est suffisant pour justifier une décision de mainlevée de ces mesures (Cass. 1re civ., 18 juin 2014, n° 13-16.887). Mais un an plus tard, elle affirmait qu’un défaut d’information du patient sur les droits et les voies de recours dont il dispose affecte d’illégalité l’exécution de la mesure mais pas la mesure de soins en elle-même (Cass. 1re civ., 15 janv. 2015, n° 13-24.361). Cela impliquait donc que ce défaut d’information ne peut à lui seul entraîner mainlevée.
Quant au Conseil d’État, il a lui aussi pris quelques positions de principe. Dans une décision du 13 novembre 2013, la haute cour précise que la décision du directeur (SPI et SDT/SDTU) devra être transmise au JLD dans le dossier de greffe au même titre que les documents listés dans l’article R. 3211-11 du CSP, et déclare illégal l’article en tant qu’il ne prévoit pas cette transmission systématique. De plus, il rappelle que cette même décision d’admission doit être formalisée et motivée afin que le JLD soit à même de vérifier sa régularité. Cependant, le Conseil d’État ne précise pas le mode de motivation à utiliser : il renvoie à la loi du 5 juillet 2011 et non au texte de droit commun sur la motivation des actes administratifs (loi n° 79-587 du 11 juillet 1979). La Cour de cassation reprécisera ce point plus tard dans son arrêt du 10 février 2021 (req. n°19-25.224).
2016-2020 : le tournant
De 2016 à 2020, ce sont quatre années intenses : une nouvelle loi de santé impactant la psychiatrie, une accélération des décisions de la Cour de cassation et encore une question prioritaire de constitutionnalité.
D’abord du côté du législateur, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a apporté quelques modifications aux procédures des soins psychiatriques sans consentement : l’obligation pour le préfet de motiver le refus d’accorder une sortie de courte durée, la fin de la notification aux procureurs de la République des identités du patient et du tiers, la fin également de la transmission au préfet des certificats médicaux pour les soins sur décision du directeur. Par ailleurs, cette loi a aussi fait évoluer la politique de santé mentale et l’organisation de la psychiatrie en reconnaissant le caractère transversal de la santé mentale et en prévoyant la mise en œuvre sur les territoires de projets territoriaux de santé mentale élaborés par l’ensemble des acteurs concourant à cette politique. Mais, ce qui a surtout retenu l’attention en ce début d’année 2016, ce sont les dispositions du texte relatives à l’isolement et la contention (avec la création d’un nouvel article L. 3222-5-1 dans le CSP). L’encadrement au niveau légal de ces mesures, qui répondait à un impératif majeur de protection des libertés individuelles, va donner lieu à de nombreux débats, décisions de justice et l’intervention du Conseil constitutionnel !
Ensuite, du côté de la Cour de cassation : durant cette période, de nombreuses décisions importantes ont été rendues. Impossible d’être exhaustif ici, retenons-en deux particulièrement marquantes :
- la première, extrêmement attendue par les psychiatres, a été rendue en 2017 (Cass, 1re Civ, 27 septembre 2017, n°16-22.544) : la haute juridiction a précisé qu’il revient au juge d’apprécier le bien-fondé d’une mesure d’admission ou de maintien en hospitalisation, en se fondant uniquement sur les certificats médicaux dont il dispose, et non de substituer sa propre appréciation sur l’état de santé et la capacité à consentir du patient. La Cour de cassation a donc affirmé que le juge judiciaire ne doit pas sortir du rôle qui est le sien mais se contenter de vérifier si l’ensemble des pièces remises à l’autorité administrative permettait à cette dernière de prendre la décision ;
- la seconde était logique mais a eu de réelles conséquences sur les organisations hospitalières : les décisions administratives du directeur et préfet doivent précéder tant l’admission effective du patient que la réintégration du patient, et ne peuvent donc avoir un effet rétroactif. Un délai étant susceptible de s’écouler entre l’admission et la décision administrative, celle-ci ne peut être retardée que le temps strictement nécessaire à l’élaboration de l’acte, qui ne saurait excéder quelques heures. Au-delà de ce bref délai, la décision est irrégulière (Cass. avis n° 16-70.006 du 11 juillet 2016 et Cass. 1re civ., 22 février 2017, n°1613824).
En parallèle s’est posée la question du contrôle des mesures d’isolement et de contention par le JLD. Dès 2017, les JLD de Versailles ont eu une interprétation extensive de leur champ de compétence, en intégrant lors des audiences obligatoires à 12 jours le contrôle des mesures d’isolement et de contention des patients hospitalisés en soins sans consentement. La Cour de cassation avait alors rétabli la sécurité juridique des textes : « […] Il n’appartient pas au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la mise en œuvre d’une mesure médicale distincte de la procédure de soins contraints qui lui incombe de contrôler […] ainsi […] la mesure médicale échappe au contrôle du juge des libertés et de la détention. » (Cass. 1re civ. du 7 novembre 2019, req. n° 1918.262) (26). Mais l’histoire ne s’arrête pas là… Cette décision a en effet ouvert la voie à une question prioritaire de constitutionnalité.
Durant cette période, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié une recommandation de bonne pratique : « Aide à la rédaction des certificats et avis médicaux dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement d’une personne majeure à l’issue de la période d’observation de 72 heures [27]. » Outil très intéressant mais diffusé en 2018, soit près de sept ans après l’entrée en vigueur de la réforme… et sans référence aux certificats initiaux !
2020-2022 : de nouvelles exigences
En 2019, la Cour de cassation avait donc rappelé la stricte interprétation de la loi en ce qui concerne le contrôle des mesures d’isolement et de contention mais cette dernière était-elle conforme à la Constitution ? Eh bien non ! Dans sa décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020, le Conseil constitutionnel a considéré que le législateur ne pouvait, au regard des exigences de l’article 66 de la Constitution, permettre le maintien à l’isolement ou en contention en psychiatrie au-delà d’une certaine durée sans contrôle du juge judiciaire. C’est ainsi que l’article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (du 14 décembre 2020) a donné un nouveau cadre juridique aux pratiques d’isolement et de contention en psychiatrie et posé les conditions dans lesquelles le juge peut exercer un contrôle [28]. Et sans surprise, la Cour de cassation a renvoyé au Conseil constitutionnel une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité ! Les Sages ont alors souligné qu’« aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution ». Le Conseil a reporté l’abrogation des dispositions contestées au 31 décembre 2021. Le feuilleton continue… et inquiète l’ensemble des acteurs, des psychiatres aux juges des libertés et de la détention en passant par les directions des établissements de santé [29].
En parallèle, la Cour de cassation a poursuivi sa production de décisions. Décisions qui continuent parfois de questionner comme celle rendue le 10 février 2021. En l’espèce, le directeur d’établissement a pu, à la suite d’une décision judiciaire de mainlevée de l’hospitalisation d’un patient, décider de son admission au motif d’un péril imminent, car les conditions de l’article L. 3212-1, II, 2° du CSP étaient remplies (Cass. 1re civ., 10 février 2021 – n° 19 25.224). Il est important de préciser que si la Cour de cassation admet qu’il y ait réadmission après une ordonnance de mainlevée du JLD, cette décision ne doit pas constituer un mode de détournement de procédure de prise en charge et de remise en cause de l’autorité judiciaire autrement dit de la chose jugée [30].
Ce qui a aussi été source d’interrogation ces dernières années, c’est le positionnement de certains avocats lors des audiences. Comme souligné par François Pinatel, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, « on a pu avoir le sentiment que certains se sentaient plus défenseurs de la loi que du patient et donc ont estimé qu’ils pouvaient passer outre la volonté de ce dernier au motif qu’ils agissaient en tant que défenseur de ses libertés fondamentales plus que de l’intérêt de leur client/patient [31] ».
Enfin, du côté de la HAS, à noter la publication en 2021 d’un outil d’amélioration des pratiques professionnelles sur le programme de soins psychiatriques sans consentement.
Conclusion
En dix ans, plusieurs censures du Conseil constitutionnel, de nouvelles lois, des exigences renforcées, de nombreuses jurisprudences mais toujours les problématiques des effectifs médicaux, du financement de la psychiatrie et de l’interprétation des textes.
Comme souligné par Fabienne Guichard, directrice du CHS de Thuir, on est malheureusement dans un cercle vicieux : « D’une part, une très forte demande en soins, d’autre part des délais de consultation qui s’allongent car les psychiatres sont fortement mobilisés en intrahospitalier pour répondre à la lourdeur administrative de la loi de 2011. Les médecins sont, de fait, moins présents sur les structures extrahospitalières et, par conséquent, il y a potentiellement des patients qui décompensent faute d’avoir été pris en soins en temps opportun. Et finalement une très forte pression sur les lits et une difficulté à hospitaliser en soins libres des patients demandeurs [32]. » Or, l’objectif de la loi de 2011 était bien de diminuer le nombre d’hospitalisations contraintes. Mais les chiffres montrent qu’on en est loin. André Ferragne, secrétaire général du Contrôleur général des lieux de privations de liberté, à l’occasion du même évènement, a affirmé que c’est un constat d’échec : « Concrètement, cette loi [de 2011] a finalement eu pour effet de pratiquer plusieurs centaines de milliers d’hospitalisations supplémentaires. On arrive donc à l’effet inverse de l’objectif poursuivi par le législateur. »
Cette loi n’a donc pas fini de faire couler de l’encre et de faire réfléchir (espérons-le) aux notions de restriction de libertés et de privation de libertés dans les soins, bien distinctes et qui provoquent tant le déséquilibre, là où on recherche tant l’équilibre. Un paradoxe de plus.
Bilan à dix ans
Bien que la loi du 5 juillet 2011 soit au bénéfice des droits des patients pris en charge en soins contraints, des difficultés demeurent, tant dans son application que dans son intégration des pratiques. Dix ans plus tard, on constate encore des questionnements autour de certains points essentiels :
• la rédaction des CM initiaux et leur motivation,
• les délais de rédaction des décisions d’admission,
• les programmes de soins et leur gestion,
• les sorties de courte durée en SDRE et les refus systématiques et non motivés, alors que la loi l’exige, du préfet,
• la recherche du tiers par les médecins urgentistes en MCO,
• la qualité des certificateurs,
• la distinction entre CM et avis médical,
• le calcul des délais entre CM mensuel en SDT,
• le maintien en SDT en cas de demande de sortie prématurée,
• le régime des patients irresponsables pénaux et des patients pris en charge en UMD,
• la gestion du régime des patients détenus.
Et bien sûr enfin le régime des isolements et contentions : la distinction entre décision et prescription médicale, l’organisation des renouvellements de mesures, le contrôle du JLD, et bientôt sa saisine systématique en cas de reconduction des mesures.
[1] Cf. la remarque de Fabienne Guichard, directrice du CHS de Thuir, lors de l’évènement organisé par le Centre de droit JuriSanté du CNEH, « 10-13 spécial psychiatrie » le 5 juillet 2021 : une année, la procédure de soins sous contrainte engendre la production d’environ 12 000 certificats médicaux. https://www.cneh.fr/wp-content/uploads/2021/07/Retranscription_10- 13_psy.pdf
[2] Loi 90-527 du 27 juin 1990 codifiée pour sa partie prise en charge des patients aux articles L. 3211-1 et ss du CSP.
[3] Jean-Étienne Dominique Esquirol (1772-1840), psychiatre, est considéré comme le père de l’hôpital psychiatrique français. Il fit en effet voter la loi de 1838, obligeant chaque département à se doter d’un hôpital spécialisé.
[4] H. Strohl, M. Clemente, rapport n°97081 du groupe national d’évaluation de la loi du 27 juin 1990, septembre 1997.
[5] Ajouts de la loi du 4 mars 2002 : L. 3211-2-1 (sorties accompagnées), L. 3222-1 (accès de la CDHP au dossier médical pour répondre aux demandes d’accès formulées par des patients pris en charge en HDT/HO en cas de situation d’une particulière gravité, composition de la CDHP).
[6] CEDH 27 juin 2002, L. Rc/France n° 33395/96 (24 jours de délai) ; 27 octobre 2005 Mathieu c/France n° 68673/01 (4 mois de délai) ; 14 avril 2011 n° 35079/06 (46 jours de délai).
[7] CEDH Baudouin c/France n° 35935/03 : compétence administrative pour contrôler la légalité externe de la décision préfectorale, compétence judiciaire pour contrôler le bien-fondé d’une hospitalisation disproportionnée au regard de l’état de santé du patient et en ordonner la mainlevée.
[8] www.vie-publique.fr
[9] Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Melle Danielle S… (cas de HDT).
[10] Question prioritaire de constitutionnalité : droit donné à chaque partie à un contentieux de contester une disposition légale ou réglementaire devant le Conseil constitutionnel lorsqu’elle l’estime incompatible avec les termes de la Constitution. Cette disposition a été introduite par la loi constitutionnelle n° 2008 du 23 juillet 2008 qui a ajouté au texte de la Constitution un article 61-1. Elle a remplacé le 1er alinéa de l’article 62 par deux nouveaux alinéas. Par sa décision n°2009-595 DC, le Conseil constitutionnel a validé, le 3 décembre 2009, la loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution qui institue la « question prioritaire de constitutionnalité ». La réforme qui est entrée en vigueur le 1er mars 2010 a été complétée par une loi organique du 10 décembre 2009.
[11] Art. 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
[12] Ce délai choisi par le Conseil constitutionnel n’a de sens, a priori, que pour laisser le temps de régler les situations de patients en HDT au 26 novembre 2010, afin de ne pas engendrer des sorties immédiates sans doute incompatibles avec leur état de santé.
[13] Décision 2011-135/140 du 9 juin 2011, M. Abdellatif et autres (portant sur les situations de HO).
[14] Avis du 15 février 2011 du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) relatif à certaines modalités de l’hospitalisation d’office, JO du 20 mars 2011
[15] Ce qui fait écho au principe d’adaptabilité du service public hospitalier rappelé à l’article L. 6112-1 du CSP.
[16] FAQ publiée par le ministère de la Santé sous forme de circulaire relative aux modalités de mise en œuvre de la loi du 5 juillet 2011- https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Foire_aux_questions_-reforme_des_soins_psychiatriques-_janvier_2013-2.pdf
[17] Décision n° 2012-174 QPC.
[18] Décision n° 2012-185 QPC.
[19] En décembre de la même année, le Conseil rend à nouveau une décision (n° 2011-202 QPC du 2 décembre 2011) relative à une hospitalisation sans consentement antérieure à la loi n° 90-527 du 27 juin 1990, dans laquelle il a examiné des dispositions de la loi de 1838 qu’il a jugées contraires à la Constitution, pour les mêmes motifs que ceux retenus dans les décisions du 26 novembre 2010 et du 9 juin 2011. En effet, ces dispositions « permettaient que l’hospitalisation d’une personne atteinte de maladie mentale soit maintenue au-delà de quinze jours dans un établissement de soins sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire ».
[20] Décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012.
[21] La troisième question posée par la QPC : le régime des séjours en hospitalisation imposés dans le cadre d’une prise en charge ambulatoire (art. L. 3211-2-1 du CSP), à savoir la nécessité d’un contrôle du JLD aussi sur cette prise en charge du patient dès lors qu’elle demeure une contrainte de soins malgré la liberté d’aller et venir du patient. Le Conseil constitutionnel a déclaré cette disposition conforme à la Constitution.
[22] CGLPL, « Soins sans consentement et droits fondamentaux », rapport thématique, Dalloz, 2020. Disponible aussi sur www.cglpl.fr
[23] Ces unités, qui disposent d’un personnel très renforcé par rapport à celui des services de psychiatrie générale, parviennent en effet à soigner des patients dont le comportement n’est pas compatible avec le maintien dans des services de psychiatrie générale, et ce jusqu’à ce qu’ils puissent intégrer ou réintégrer un tel service.
[24] Art. L. 3213-9-1 du CSP.
[25] Sur ce point, voir l’article mis à jour tous les ans de Jean-Marc Panfili, avocat à la Cour, ancien cadre supérieur de santé en psychiatrie, « Le juge, l’avocat et les soins psychiatriques sans consentement depuis 2011 », sur le site du CRPA. https://psychiatrie.crpa.asso.fr
[26] I. Génot-Pok, « Mesure d’isolement et contention malmenées par les juges, ou comment la cour de cassation rétablit la sécurité juridique des textes », 3 février 2020. Blog JuriSanté, www.cneh.fr.
[27] « Aide à la rédaction des certificats et avis médicaux dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement d’une personne majeure à l’issue de la période d’observation de 72 heures », 13 avril 2018. www.has-sante
[28] A. Charbonnel, « Réforme de l’isolement et de la contention en psychiatrie. Un texte avec (ou sans) “clause de revoyure” ? », Gestions hospitalières, n°603, février 2021.
[29] Cf. la retranscription des interventions de l’évènement organisé par le CNEH pour les dix ans de la loi de 2011 le 5 juillet 2021, « 10-13 spécial psychiatrie » – https://www.cneh.fr/wp-content/uploads/2021/07/Retranscription_10-13_psy.pdf
[30] https://www.cneh.fr/blog-jurisante/publications/psychiatrie-et-sante- mentale/quid-des-droits-des-patients-admis-en-soins-sans-consentement-dans-larret-de-la-cour-de-cassation-du-10-fevrier-2021-n19-25-224/
[31] Cf. la retranscription de l’intervention de François Pinatel lors de l’évènement organisé par le CNEH pour les dix ans de la loi de 2011 le 5 juillet 2021, « 10-13 spécial psychiatrie » – https://www.cneh.fr/wp- content/uploads/2021/07/Retranscription_10-13_psy.pdf
[32] « 10-13 spécial psychiatrie » – https://www.cneh.fr/wp-Content/uploads/2021/07/Retranscription_10-13_psy.pdf