Note – Nouvelle censure du Conseil constitutionnel sur l’isolement et la contention – Vers un contrôle systématique du juge judiciaire. A propos de la décision n° 2021-912/913/914 QPC du 4 juin 2021
Aude Charbonnel, juriste consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH
Le Conseil constitutionnel avait été saisi le 2 avril 2021 par la Cour de cassation (1ère chambre civile, arrêts numéros 379, 380 et 381 du 1er avril 2021) de trois questions prioritaires de constitutionnalité relatives à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions du code de la santé publique concernant l’isolement et la contention résultant de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale. Loi qui faisait suite à une 1ère censure du Conseil constitutionnel prononcée en juin 2020 (décision du Conseil constitutionnel n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020).
Nous avons eu déjà l’occasion de largement commenter sur ce blog, à la fois la 1ère QPC, et la position du législateur[1].
Alors quelles sont les conclusions de cette 2ème QPC sur l’isolement et la contention en soins psychiatriques sans consentement ?
Le Conseil constitutionnel souligne qu’ « aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention au-delà d’une certaine durée à l’intervention systématique du juge judiciaire, conformément aux exigences de l’article 66 de la Constitution ». Dès lors, le troisième alinéa du paragraphe II de l’article L3222-5-1 du code de la santé publique relatif au renouvellement des mesures d’isolement et de contention au-delà des durées totales prévues par le texte et de l’information par le médecin au juge des libertés et de la détention doit être déclaré contraire à la Constitution. En toute logique, les Sages retiennent qu’il en va de même du sixième alinéa du même paragraphe [relatif à l’information du juge lorsque le médecin prend plusieurs mesures d’une durée cumulée de 48 heures pour l’isolement et de 24 heures pour la contention sur une période de 15 jours].
En conclusion, le Conseil constitutionnel décide que l’abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il reporte au 31 décembre 2021 la date de l’abrogation des dispositions contestées. Le Conseil précise que les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées contraires à la Constitution ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
La 1ère décision du conseil constitutionnel de juin 2020 était claire, le législateur ne l’a pourtant pas appliqué dans son article 84 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2021 (erreur d’interprétation ? Choix politique ?). En toute logique, les Sages maintiennent leur position dans leur 2ème décision et censurent le pouvoir législatif. Quelle regrettable instabilité juridique dont les patients et les hospitaliers pâtissent…
En résumé :
- Entre aujourd’hui et le 31 décembre 2021 : les établissements de santé appliquent l’article L3222-5-1 du code de la santé publique mais aussi les articles relatifs au juge dans leur version actuelle ainsi que le décret n° 2021-537 du 30 avril 2021 relatif à la procédure applicable devant le juge des libertés et de la détention en matière d’isolement et de contention mis en œuvre dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement et l’instruction N° DGOS/R4/2021/89 du 29 avril 2021 relative à l’accompagnement des établissements de santé autorisés en psychiatrie pour la mise en œuvre du nouveau cadre relatif aux mesures d’isolement et de contention.
- Au cours de l’année : en attendant le nouveau texte de loi, les hospitaliers anticipent le développement des outils nécessaires pour la saisine systématique du juge et continuent de dialoguer avec ce(s) dernier(s) sur l’organisation à mettre en place pour une stricte application des droits du patient.
- A partir du 1er janvier 2022 : a priori saisine systématique du juge des libertés et de la détention.
[1] https://www.cneh.fr/blog-jurisante/publications/psychiatrie-et-sante-mentale/actualite-sur-la-privation-de-liberte-en-psychiatrie/