Article – Cumul d’activités dans la Fonction Publique : Où en est-on ?
Céline Berthier, consultante au centre de droit JuriSanté du CNEH
Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 623 – février 2023
Cumuler un emploi d’Infirmière à l’hôpital avec une activité de conductrice de bus scolaire, est-ce possible ? L’opportunité a été ouverte par le décret du 27 décembre 2022[1] en réponse à la pénurie de conducteurs dans les transports scolaires. Cette expérimentation d’une durée de trois ans instaure ainsi une nouvelle activité accessoire permettant aux agents publics de cumuler leur activité principale avec celle de conducteur de transport scolaire.
Cette réponse ponctuelle à un besoin spécifique est l’occasion de faire le point sur le régime du cumul d’activités dans la Fonction Publique qui suscite de plus en plus de demandes de la part des agents.
Le principe initial de non-cumul d’activités dans la Fonction Publique connait en effet de nombreuses exceptions et dérogations soumises à des régimes et procédures diverses, qui rendent le sujet complexe et peu lisible et, au-delà de ces considérations juridiques, interrogent sur son bien-fondé dans la société actuelle.
1. Un principe simple : l’obligation de l’exercice exclusif des fonctions ou le non-cumul d’activités dans la Fonction Publique
Le statut d’agent public connait de nombreuses particularités dont celle de devoir se consacrer intégralement et exclusivement à son emploi public.
Consacré par l’ancien article 25 septies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée devenu l’article L123-1 du Code Général de la Fonction Publique (CGFP), ce principe dispose que « l’agent public ne peut exercer, à titre professionnel, une activité lucrative de quelque nature que ce soit ».
Il est ainsi interdit aux agents publics :
- 1° De créer ou de reprendre une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou affiliée au régime prévu à l’article L. 613-7 du code de la sécurité sociale ;
- 2° De participer aux organes de direction de sociétés ou d’associations à but lucratif ;
- 3° De donner des consultations, de procéder à des expertises ou de plaider en justice dans les litiges intéressant toute personne publique, le cas échéant devant une juridiction étrangère ou internationale, sauf si cette prestation s’exerce au profit d’une personne publique ne relevant pas du secteur concurrentiel ;
- 4° De prendre ou de détenir, directement ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l’administration à laquelle il appartient ou en relation avec cette dernière, des intérêts de nature à compromettre son indépendance ;
- 5° De cumuler un emploi permanent à temps complet avec un ou plusieurs autres emplois permanents à temps complet. »
Ce principe et ces interdictions concernent tous les agents publics, titulaires, stagiaires et contractuels (exception faite des personnels de recherche qui bénéficient d’un dispositif dérogatoire prévu par le Code de la Recherche pour la valorisation de leurs travaux dans ce cadre).
En cas de non-respect, les agents s’exposent à des sanctions disciplinaires et au reversement des sommes perçues au titre des activités exercées illégalement, par la voie de la retenue de traitement[2].
Comme pour tout principe inhérent à la Fonction Publique, il existe de nombreuses exceptions et dérogations qui, selon la nature de l’emploi occupé par l’agent, la nature de l’activité envisagée et les circonstances dans lesquelles tout cela s’exerce, répondent à des régimes et procédures spécifiques.
Le cumul d’activités est alors possible selon un dispositif strictement encadré dont l’appréciation est laissée à l’Autorité Investie du Pouvoir de Nomination (AIPN).
Quelles sont alors les autres activités que l’agent peut exercer et comment ?
2. Un schéma complexe de dérogations et d’autorisations
Si l’article L123-1 du CGFP est relativement clair dans son principe et ses interdictions, il est rapidement atténué par les articles L123-2 et 8 du même code qui permettent aux agents publics d’exercer d’autres activités lucratives en sus de celles occupées au sein de la Fonction Publique, qu’elles soient en lien ou non avec l’activité principale, entrepreneuriales, salariées, artisanales voire agricoles ou encore artistiques. Un champ des possibles qu’il convient de clarifier.
- Le cumul d’activité transitoire
Premier cas de figure prévu à l’article L123-4 CGFP, la possibilité laissée à l’agent public nouvellement recruté (par voie de concours ou de contrat) de poursuivre temporairement sa précédente activité de dirigeant d’association ou d’entreprise.
Cette poursuite d’activité transitoire est soumise à la déclaration préalable auprès du nouvel employeur public (AIPN) qui statuera sur la compatibilité de cette activité avec l’emploi public de l’agent et pourra ainsi le refuser, en cas de conflit d’intérêt par exemple.
Notons que pour ce cas de figure, comme pour tous les autres, la demande de l’agent doit être expresse[3] et clairement libellée auprès de l’employeur public qui peut demander toute information complémentaire à l’appui de son analyse.
Si l’autorisation lui est donnée, l’agent pourra poursuivre cette activité de dirigeant sans diminution de sa quotité de temps de travail public ni attribution de congés spécifique. Cette autorisation lui sera attribuée pour une durée maximale d’un an, éventuellement renouvelable une fois. Ainsi, à l’issue d’un délai maximal de deux ans il devra cesser définitivement cette activité annexe ou renoncer à son emploi public.
- Le cumul d’activité des agents à temps non complet
Autre faculté prévue par l’article L123-5 du CGFP, l’exercice d’une activité privée lucrative à titre professionnel pour les agents occupant un emploi permanent à temps non complet ou incomplet pour lequel la durée du travail est inférieure ou égale à 70 % de la durée légale ou réglementaire du travail.
Cette possibilité apparaît comme légitime pour les agents ne disposant pas d’un poste à temps complet afin de pouvoir s’assurer d’un complément de revenus.
Depuis le décret n° 2020-791 du 26 juin 2020 fixant les dispositions applicables aux fonctionnaires occupant un emploi à temps non complet dans la fonction publique hospitalière, il est même possible d’avoir un exercice mixte entre emploi public en qualité d’agent titulaire et activité libérale, l’emploi sur un poste d’agent titulaire étant avant ce décret systématiquement à temps complet.
Ce décret réserve cette possibilité à une liste précise de corps hospitaliers : les sage-femmes, les psychologues, les diététiciens, les masseurs-kinésithérapeutes, les orthophonistes, les orthoptistes, les pédicures-podologues, les ergothérapeutes et les psychomotriciens.
Ici encore il s’agit d’un régime de déclaration préalable soumise à l’appréciation de l’AIPN qui peut, alors que cette autorisation n’est pas limitée dans le temps, la retirer à tout moment si les conditions d’autorisation ou les circonstances ont changé.
- Le cumul pour reprise ou création d’entreprise
Cumuler emploi public et entrepreneuriat, mais non plus de façon transitoire, est rendu possible par l’article L123-8 du CGFP qui prévoit une dérogation pour les agents occupant un emploi public à temps complet de passer à temps partiel (sur une quotité allant de 50 à 90%) pour créer ou reprendre une entreprise.
La demande doit être formulée auprès de l’AIPN dans un délai de trois mois avant le démarrage souhaité de cette double activité, laquelle AIPN aura à statuer à la fois sur la compatibilité entre l’emploi public de l’agent concerné et la création/reprise d’entreprise d’une part, et sur le passage à temps partiel d’autre part.
Un refus de sa part peut être soumis, à la demande de l’agent, à un avis de la Commission Administrative Compétente.
La dérogation accordée, qui pourrait également être retirée à tout moment pour un motif d’intérêt général, l’est pour une durée maximale de trois renouvelable une année, soit 4 ans au total.
- Le cumul pour l’exercice d’une activité accessoire
Régime de cumul qui est peut-être le plus répandu, celui de l’activité accessoire prévu à l’article L123-7 du CGFP.
Il concerne 11 activités limitativement énumérées pour lesquelles l’agent présente à l’AIPN une demande préalable (un mois de silence dans ce cadre valant rejet de la demande). Si ce dernier estime que cette activité accessoire est compatible avec les fonctions exercées par l’agent et ne va pas affecter leur exercice, cette activité sera réalisée par l’agent en dehors de son temps de travail, sur son temps personnel sans qu’il lui soit demandé de passer à temps partiel.
Listées par l’article 11 du Décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique, ces activités accessoires sont :
- – L’expertise et consultation ;
- – L’Enseignement et la formation ;
- – Une activité à caractère sportif ou culturel, y compris l’encadrement et l’animation dans les domaines sportif, culturel ou de l’éducation populaire ;
- – Une activité agricole ;
- – Une activité de conjoint collaborateur au sein d’une entreprise artisanale, commerciale ou libérale mentionnée à l’article R. 121-1 du code de commerce ;
- – Une activité d’aide à domicile à un ascendant, à un descendant, à son conjoint, à son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou à son concubin, permettant au fonctionnaire de percevoir, le cas échéant, les allocations afférentes à cette aide ;
- – Des travaux de faible importance réalisés chez des particuliers ;
- – Une activité d’intérêt général exercée auprès d’une personne publique ou auprès d’une personne privée à but non lucratif ;
- – Une mission d’intérêt public de coopération internationale ou auprès d’organismes d’intérêt général à caractère international ou d’un Etat étranger ;
- – Des services à la personne mentionnés à l’article L. 7231-1 du code du travail ;
- – La vente de biens produits personnellement par l’agent
- – Et, depuis le décret du 27 décembre 2022 précité, le transport scolaire.
Il est à noter que ces activités peuvent être réalisées sous le régime micro-social ou d’auto-entrepreneur où l’agent serait bien inscrit au registre du commerce et des sociétés mais exclusivement sous ces deux formes sociales, un autre statut d’entreprise relèverait du cumul d’activité pour une création/reprise d’entreprise tel que décrit auparavant.
- La liberté d’exercer certaines activités
A côté de ce cadre très contraint, l’agent public dispose tout de même d’une certaine liberté à exercer des activités en plus de son emploi public, sans avoir à en référer à son employeur et alors même que cette activité génèrerait des revenus.
- – La production des œuvres de l’esprit
Mentionnées à l’article L123-2 du CGFP, il s’agit d’activités artistiques relevant de l’article L112-1, L.112-2 et L.112-3 du Code de la Propriété Intellectuelle comme l’écriture, la chanson, la chorégraphie, la photographie, les arts appliqués ou encore la création de logiciels…
Ces activités peuvent être ainsi exercées en toute liberté par les agents publics sous réserve qu’elles soient réalisées par et pour lui-même (et non en collaboration) et que l’éventuelle rémunération se fasse sous la forme de droits d’auteur.
Notons que pour ce seul cas de figure, l’agent est autorisé à poursuivre ce cumul en cas de congés maladie[4] alors que pour les autres situations, l’agent placé en congé maladie doit cesser tout activité rémunérée au risque de poursuite disciplinaire pouvant aller jusqu’à la révocation[5].
- – L’exercice d’une profession libérale découlant de l’exercice des fonctions publiques
Cas de figure plus restreint, l’article L123-3 du CGFP vise ici les personnels enseignants, techniques ou scientifiques des établissements d’enseignement ou pratiquant des activités à caractère artistique qui ont la possibilité d’exercer les professions libérales découlant de la nature de leurs fonctions.
- – Les activités bénévoles
Enfin, et fort heureusement, toutes les activités, publiques ou non, réalisées à titre bénévole et donc sans aucune forme de rémunération sont totalement libres d’exercice.
Le principe d’exercice exclusif des fonctions connait ainsi de nombreux cas de dérogations et d’autorisation soumis à l’appréciation de l’AIPN, garant du respect des principes énoncés par le décret 2020-69 du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la Fonction Publique.
Il en est d’autant plus le garant depuis la fusion de la Commission de déontologie avec la Haute Autorité de la Transparence de la Vie Publique (HATVP) qui ne lui impose plus de soumettre toutes ces demandes à l’avis de cette Autorité mais seulement pour les emplois les plus élevés hiérarchiquement (emplois listés par l’article 2 du décret de 2020) ou lorsque qu’un doute existe sur la compatibilité entre le cumul demandé et le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité du service public.
En amont de la saisie de la HATVP, l’AIPN ou l’agent peuvent saisir le référent déontologue dont le rôle est d’apporter tout conseil utile au respect des obligations et principes déontologiques[6].
Même si pour l’instant le recours au référent déontologue, dans les établissements où il est effectivement nommé et connu, semble encore timide, sa légitimité ne devrait tarder au regard de l’accroissement des demandes de cumul d’activité auxquelles font face les établissements de santé.
Evolution de la société où la multiplication des activités est de plus en plus courante, besoin de compléments de revenus pour faire face à l’inflation et au coût de la vie, changements de rapport au travail et à la conception de l’engagement dans le service public…autant de sujets qui font évoluer le paradigme de la Fonction Publique et qui questionnent encore davantage lorsqu’il s’agit du cumul d’activités pour répondre aux aspirations des agents publics qui souhaitent exercer une activité à côté de leur emploi public et qui s’en trouvent limités ou empêchés par des règles aux contours complexes voire désuets dans leurs fondements.
L’agenda social 2023 annoncé début février par le ministre de la transformation et de la fonction publiques, Stanislas Guerini, comporte un volet « accès, parcours et rémunération » dans lequel il pourrait être intéressant de travailler sur cette notion de cumul d’activités et des possibilités laissées aux agents publics de pouvoir plus souplement exercer une activité en dehors de leur emploi public sans nuire à leur engagement et au fonctionnement du service public.
Notion accessoire qui ne l’est plus vraiment, le cumul d’activité revêt aujourd’hui des enjeux d’attractivité et de stabilisation des agents dans la Fonction Publique qui nécessitent une refonte de sa conception.
[1] Décret n° 2022-1695 du 27 décembre 2022 ouvrant à titre expérimental la possibilité pour un agent public d’exercer à titre accessoire une activité lucrative de conduite d’un véhicule affecté aux services de transport scolaire ou assimilés
[2] Article L123-9 du Code Général de la Fonction Publique
[3] CAA Nancy, 18 mai 2022, req. N° 19NC00847
[4] Décret n° 2022-351 du 11 mars 2022 relatif aux conseils médicaux dans la fonction publique hospitalière
[5] TA Toulon, 18 novembre 2022, req. N° 2103453
[6] Article L124-2 du CGFP