ARTICLE – Droits civiques et casier judiciaire de l’agent public : entre procédure et compatibilité
Paru dans la revue Gestions Hospitalières, n°581, décembre 2018
Céline BERTHIER, Mélissa MASUREL, Juristes Consultantes au Centre de Droit JuriSanté du CNEH
La qualité d’agent public, tant pour les fonctionnaires que pour les agents contractuels, comporte des obligations qui se vérifient pour certaines dès le recrutement. L’accès à un emploi public est en effet conditionné par un certain nombre de critères, issus du statut général de la fonction publique ou du « petit statut » des agents contractuels[1], rappelés ci-dessous :
- Etre de nationalité française ou être ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen pour les titulaires de la fonction publique[2] ou, pour les agents contractuels de droit public de nationalité étrangère, être titulaire d’un titre de séjour autorisant le travail en France[3],
- Jouir de ses droits civiques,
- Détenir un casier judiciaire dont les mentions portées au bulletin n°2 sont compatibles avec les fonctions exercées et ne pas être frappé d’une condamnation à l’étranger incompatible avec ces mêmes fonctions,
- Etre en position régulière au regard des obligations de service national,
- Remplir les conditions physiques pour le poste compte tenu des compensations de handicap,
- Détenir les diplômes liés au poste occupé.
Les notions de droits civiques et de casier judiciaire sont sources de nombreuses interrogations puisqu’il n’est pas simplement question de la détention de ces droits ou d’un casier judiciaire vierge mais il est demandé aux établissements une appréciation de ces conditions lors du recrutement et tout au long de la carrière, ce qui n’est pas sans poser de difficultés d’application pratique au quotidien.
Les droits civiques
Les droits civiques, à l’inverse des droits civils qui concernent l’individu dans la protection de sa sphère privée, concernent le citoyen et sa place dans la sphère publique. Ils se définissent comme les droits et libertés reconnues par une nation à ses citoyens pour participer à l’organisation de la société et de l’Etat. Ils recouvrent les droits suivants :
- Le droit de vote, d’élection et d’éligibilité,
- Le droit de porter une décoration,
- Le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être juré-expert,
- Le droit de représenter ou d’assister une partie devant la justice,
- Le droit de témoigner en justice,
- Le droit de faire partie du Conseil de famille, d’être mandataire judiciaire à la protection des majeurs…,
- Le droit de port d’armes, de faire partie de la garde nationale ou de l’armée,
- Le droit d’être enseignant.
Ces droits s’acquièrent en France à la majorité ou par naturalisation. Leur interdiction partielle ou totale est une sanction prononcée par une juridiction et ne peut excéder 10 ans, mais elle peut également être une conséquence d’un placement sous tutelle.
L’article 131-26 du Code Pénal édicte que leur interdiction, et plus précisément, l’interdiction du droit de vote ou l’inéligibilité, emporte interdiction ou incapacité d’exercer une fonction publique.
Ainsi, la qualité d’agent public n’est plus conditionnée à une exigence de bonne moralité mais une exigence de bonne citoyenneté et à des critères matériels et objectifs que sont le droit d’élire et d’être élu.
Cette condition est valable au moment du recrutement mais également tout au long de la carrière.
En effet, lors du recrutement, [4]« Nul ne peut accéder à un emploi public s’il ne jouit de l’intégralité de ses droits civiques ». Cette condition est très claire et facilement vérifiable par l’administration via la consultation du bulletin n°2 du casier judiciaire et la prise en compte des condamnations devenues définitives [5].
La tâche est moins aisée s’agissant du déroulé de la carrière car si cette exigence n’est pas remise en question, un revirement jurisprudentiel[6] et l’intervention du Conseil Constitutionnel[7] ont supprimé le caractère automatique de la radiation de la fonction publique en cas de perte de droits civiques. Au nom du principe d’individualisation des peines posé par l’article 8 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen du 26 août 1789, les conséquences de la perte de droits civiques au cours de la carrière d’un agent public doit désormais faire l’objet d’une procédure disciplinaire et s’apprécier au regard du contenu du casier judiciaire et donc de la nature de l’infraction, après avis du conseil de discipline.
Face à une condamnation pénale visant clairement l’interdiction d’exercer ses fonctions, l’administration se trouve en situation de compétence liée[8] où elle se doit de radier l’agent, sans pour autant être dispensée de la procédure disciplinaire applicable en la matière.
Lorsque l’agent recouvre ses droits civiques, il peut solliciter sa réintégration qui sera soumise à l’avis de la CAP et à l’appréciation finale de l’administration. Cette réintégration ne constitue nullement un droit et s’assimile à un nouveau recrutement où la compatibilité entre l’infraction commise et les fonctions envisagées sera de nouveau étudiée.
Un cas particulier est à relever ici s’agissant des mises sous protection des majeurs (tutelle ou curatelle). Il peut en effet arriver qu’un agent public se voie appliquer une procédure de mise sous protection au cours de sa carrière, ce qui a pour conséquence de le priver de ses droits civiques. Ici encore la radiation n’est plus automatique, en particulier pour les agents sous curatelle dont les capacités à accomplir normalement leurs fonctions devront être appréciées par l’administration avant de se prononcer sur une radiation ou non[9], après avis du conseil de discipline.
Il n’est plus question ici d’apprécier les qualités de citoyen de l’agent mais ses capacités à servir alors qu’il fait l’objet d’une mesure de protection. La privation des droits civiques dans ce cadre n’ayant pas de caractère répressif mais un caractère de protection, il est attendu de l’administration le même esprit de protection tant envers le service qu’envers l’agent concerné.
Le casier judiciaire
L’article 5 de la Loi du 13 juillet 1983 portant statut général de la Fonction Publique a remplacé la notion de bonne moralité par une notion plus objective qu’est celle de la compatibilité des mentions portées au bulletin n°2 du casier judiciaire avec l’exercice des fonctions.
Le casier judiciaire est réglementé par le Code de Procédure Pénale[10]. Les administrations publiques sont amenées à contrôler ce dernier au moment de tout recrutement, qu’il s’agisse d’un agent titulaire, stagiaire ou contractuel. En effet, l’article 5 de la loi du 13 juillet 1983 et l’article 3 du décret du 6 février 1991 précisent que les mentions éventuellement présentes au bulletin n°2 de la personne recrutée ne doivent pas être « incompatibles avec l’exercice des fonctions ». Aussi, cette étape doit normalement figurer dans les processus de recrutement des établissements publics de santé.
Bulletin n°1 | Bulletin n°2 | Bulletin n°3 | |
Contenu | C’est le bulletin le plus complet.Il comporte toutes les condamnations et décisions de justice, même lorsque la personne était mineure. | Ce bulletin ne comporte qu’une partie des condamnations. | C’est le bulletin le moins complet ; il précise uniquement les condamnations les plus graves. |
Obtention | Les magistrats et établissements pénitentiaires | Certaines administrations[11] selon des cas spécifiques | La personne concernée ou son représentant légal s’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur sous tutelle |
Certains éléments du casier sont effacés après un certain délai et sous certaines conditions prévues au Code de Procédure Pénale.
Le principe de communication entre l’administration et les autorités judiciaires permet à l’autorité investie du pouvoir de nomination de se voir délivrer le bulletin n°2 par le Service du casier judiciaire national, de pouvoir être informée par le Procureur sur les poursuites en cours ou tout simplement de demander conseil auprès du Parquet sur l’appréciation de la compatibilité entre les mentions du bulletin et les fonctions à exercer.
La pratique courante est d’opérer le contrôle du casier judiciaire en début de carrière : pour les titulaires, les pratiques divergent un peu selon les établissements, certains opèrent ce contrôle au moment de la mise en stage, d’autres plus tard, un peu en amont de la titularisation. Pour ce qui est des contractuels, l’idéal est de faire la demande en amont du premier jour de présence dans la structure publique. Parfois, cette hypothèse n’est pas possible dans les établissements de santé ou médico-sociaux au regard de l’obligation qu’ont ces derniers d’assurer une continuité de service ; dans ce cas, il convient de faire la demande relative au bulletin n° 2 au plus tôt pour éviter de potentielles problématiques pour l’établissement en cas de mentions inscrites au sein de celui-ci, qui seraient soumises à l’appréciation de la direction.
Il n’y a aucune obligation pour l’administration de contrôler le bulletin n°2 au cours de la carrière de l’agent public, si bien qu’en règle générale, cette consultation n’est faite qu’une fois au cours de la carrière. Toutefois, certains établissements essaient, dans la mesure du possible, de consulter le casier judiciaire à certains moments de la carrière des agents publics (lors d’un retour en établissement après une période de disponibilité pour convenance personnelle par exemple) ; d’autres essaient aussi de le demander pour les professionnels ayant des métiers en contact avec les personnes dites vulnérables, les mineurs, ou encore pour les personnes amenées à transporter les usagers.
En janvier dernier, le sujet a fait débat suite à la médiatisation de certains cas au niveau de l’Education Nationale qui a opéré un contrôle des bulletins n° 2 des enseignants. Ainsi, pour les personnes concernées, les mentions ont été étudiées et ont parfois généré une décision de suspension des fonctions, avant la mise en place d’une procédure disciplinaire.
L’étude de l’incompatibilité des mentions avec les fonctions occupées
La condition que le bulletin n° 2 soit vierge n’est pas imposée dans la fonction publique ; il est tout à fait possible de recruter une personne qui a été condamnée puisque la loi précise que les faits reprochés sont étudiés en lien avec les missions allouées à la personne recrutée. Ainsi, étudier la compatibilité du casier judiciaire avec le poste proposé est une condition essentielle et la présence de mentions au sein de ce dernier ne suffit pas en soit à refuser une nomination sur un poste de fonctionnaire par exemple[12].
Il appartient ici à l’administration d’apprécier, non plus de la moralité d’un futur agent, mais bien la compatibilité entre une infraction précédemment commise et les missions à accomplir au sein du service public.
Cette appréciation se fait au cas par cas par l’autorité ayant pouvoir de nomination et doit prendre en compte les faits incriminés, leurs circonstances, la date de l’infraction et le délai passé, les fonctions occupées et le lien éventuel entre l’infraction et le contexte des missions futures, l’éventuel contact avec le public…
Ainsi, des faits de vol commis trois ans auparavant ont été estimés comme incompatibles avec un poste d’agent de surveillance de police[13].
Concernant les agents contractuels, un contrat qui a commencé à être exécuté ne devient pas irrégulier du seul fait que le bulletin n° 2 de la personne contiennent des mentions jugées comme étant incompatible avec l’exercice des fonctions de ce dernier[14].
De ce fait, il appartient, là encore, au directeur de l’établissement d’évaluer la compatibilité du contenu du casier judiciaire avec les fonctions de l’agent au regard de différents critères qui ressortent de la jurisprudence du Conseil d’Etat en date du 4 février 2015 que sont : la gravité de l’infraction, la nature et la gravité de la peine prononcée, la réalité des fonctions qui seront exercées par l’agent, les risques potentiels identifiés à confier le poste à une personne pénalement condamnée, qui pourraient appuyer cette notion d’incompatibilité[15].
L’organisation de la procédure disciplinaire : un préalable essentiel
Au cours de la carrière, il peut arriver que l’administration, et plus particulièrement la direction des ressources humaines, ait à traiter des situations administratives d’agents qui ont été jugés, voir condamnés.
La jurisprudence admet que certaines infractions commises dans la sphère privée fassent l’objet d’un volet disciplinaire au niveau de l’établissement public employeur. C’est le cas lorsque les mentions portées au bulletin n° 2 sont jugées comme étant incompatibles avec les fonctions occupées[16], également lorsque les faits portent atteinte à la réputation de l’administration[17].
L’autorité investie du pouvoir de nomination peut alors engager la procédure disciplinaire lorsqu’elle estime que ces faits, même s’ils sont d’ordre privé, remettent en question la qualité d’agent public. Sans cela, l’établissement ne sera pas légitime à prononcer une sanction, et donc, une éventuelle révocation[18].
De plus, l’action disciplinaire est enfermée dans « un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits passibles de sanction »[19]. Toutefois, en cas de poursuites pénales, la loi de 1983 précise que ce délai est interrompu jusqu’à la décision définitive de la juridiction saisie.
Ainsi, et cela a encore été précisé par le Conseil d’Etat dans un arrêt récent du 15 octobre 2018[20], l’autorité administrative « ne peut légalement, s’agissant d’un agent en activité, prononcer directement sa radiation des cadres au motif que les mentions portées au bulletin n° 2 de son casier judiciaire seraient incompatibles avec l’exercice des fonctions ».
La sanction disciplinaire ne sera pas forcément la révocation : la sanction prononcée doit être proportionnée aux faits reprochés[21].
En synthèse,
Une mention portée au casier judiciaire doit toujours faire l’objet d’une analyse, que ce soit lors du recrutement ou au cours de la carrière, au regard de la compatibilité entre les faits commis et les missions de l’agent ; ceci dans le cadre d’une procédure disciplinaire si cette question se pose au cours de la carrière.
La privation des droits civiques est un obstacle au recrutement mais doit également faire l’objet d’une analyse et d’une procédure disciplinaire lorsque cette privation intervient au cours de la carrière de l’agent.
Il appartient donc à l’autorité employeur, avec l’aide du conseil de discipline, d’apprécier au cas par cas la compatibilité des faits reprochés par rapport aux fonctions occupées. Tout sera question d’appréciation et d’interprétation pour une décision individualisée tenant compte de l’agent et de l’intérêt du service. Si le devoir de moralité n’existe plus, les droits et obligations de l’agent public demeurent et notamment le devoir de probité[22] au regard duquel il convient de s’interroger sur la place de l’agent incriminé dans l’Institution.
[1] Articles 5 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et article 3 du décret n°91-155 du 6 février 1991.
[2] Article 5 bis de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
[3] Article 3, 6°, du décret n°91-155 du 6 février 1991.
[4] CAA Paris, N° 98PA00491
[5] CE 17 Novembre 2010, N°315829
[6] CE, 11 décembre 2006, n° 271029
[7] CC, 11 juin 2010, QPC n°2010-6/7
[8] CAA Marseille, 3 novembre 2011, n°09MA03146
[9] CAA Nantes, 20 juin 2002, n°98TO2311.
[10] Partie législative, Livre V, Titre VIII du Code de procédure pénale.
[11] Article R79 du Code de Procédure Pénale.
[12] CE, 3 décembre 1993, n° 104876.
[13] CE, 25 octobre 2004, n° 256944.
[14] CE, 4 février 2015, n° 367724.
[15] DE LARD-HUCHET Brigitte, « A propos de l’arrêt du Conseil d’Etat du 4 février 2015 (réf. 367724) », Blog JuriSanté.
[16] Article 5, 3°, de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
[17] CE, 27 juillet 2006, n° 288911.
[18] CE, 5 décembre 2016, n° 380763.
[19] Article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.
[20] CE, 15 oct. 2018, n° 412845.
[21] CE, 5 décembre 2016, n° 380763.
[22] Article 25 de la loi du 13 juillet 1983.