Article – Le contractuel hospitalier: l’exception qui devient légion?
Céline Berthier et Martine Cappe, consultantes au centre de droit JuriSanté du CNEH
Article paru dans la revue Gestions hospitalières n° 639 – octobre 2024
Être ou ne pas être contractuel, telle pourrait être la question. Rares sont les sujets communs entre personnel médical et personnel non médical. Celui du statut de contractuel en est un. Un statut qui ne cesse de croître et qui bouleverse les ressources humaines à l’hôpital.
L’hôpital public s’est construit sur des organisations de ressources humaines (RH) axées sur des statuts et des grilles, à l’intérieur desquelles nous trouvions majoritairement des praticiens hospitaliers ou hospitalo-universitaires pour le personnel médical et des agents titulaires pour le personnel non médical.
Le statut de contractuel était réservé aux recrutements pour une durée déterminée ou transitoire ou pour des situations particulières liées aux spécificités du poste, du postulant… Traditionnellement, le personnel non médical était composé à 80 % d’agents titulaires et à 20 % d’agents contractuels.
Mais depuis quelques années, nous constatons une tendance inverse, à savoir un accroissement massif du nombre de personnels contractuels, voire un nombre de contractuels plus élevé que les titulaires dans des établissements de petite taille. Statistiquement, ce constat se confirme ; pour exemple, avant la mise en place du nouveau statut de praticien contractuel (février 2022), l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) comptait 41 % de contractuels médicaux contre 28 % dans les hôpitaux français et, en 2017, un tiers des postes de praticien hospitalier étaient déjà non pourvus et occupés par des contractuels [1]. Cette tendance est toujours observée.
Tout personnel confondu, les derniers chiffres indiquent qu’au 31 décembre 2020, près d’un agent hospitalier sur quatre était contractuel, avec une hausse des agents contractuels de 3,8% entre 2011 et 2019 et de 9,6 % entre 2019 et 2020 [2].
Cette nouvelle tendance, qui semble s’installer durablement dans nos hôpitaux, s’explique par de multiples raisons liées aux statuts eux-mêmes et à l’évolution de la société. Elle ne va pas sans son lot de contraintes pour les directions des ressources humaines, qui doivent mettre en place de nouvelles pratiques et un nouveau management. De quoi bouleverser l’équilibre fragile des ressources humaines hospitalières.
Une tendance aux facteurs multiples
Un statut en pleine évolution
Initiées par le plan Ma santé 2022 et les plans Ségur de la santé de juillet 2020, les dernières évolutions statutaires ont pour objectif de normaliser le statut du praticien contractuel hospitalier, et plus généralement de simplifier la gestion des ressources humaines médicales.
Concrètement, cela se traduit par la création d’un statut unique de praticien contractuel, constitué de quatre motifs de recrutement assortis d’un temps de travail variable selon ces motifs et d’une rémunération encadrée. Parallèlement, le statut de praticien hospitalier (PH) est désormais compatible avec l’exercice d’une activité mixte et devient modulable.
Ces assouplissements apportent davantage de liberté aux praticiens dans la construction de leur carrière en leur donnant la possibilité de choisir un exercice hospitalier sans pour autant renoncer à d’autres possibilités. À cela s’ajoute un étoffement de leur protection sociale grâce au décret n° 2017-161 du 9 février 2017, qui permet aux praticiens contractuels, en contrat à durée déterminée ou indéterminée, de bénéficier des garanties de base de la sécurité sociale. De quoi majorer leur intérêt d’un exercice hospitalier.
Le décret de 1991 régissant le statut du personnel contractuel non médical a également connu un important changement avec la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et l’avènement du Code général de la fonction publique (CGFP) du 1er mars 2022. L’objectif affiché était de doter les agents contractuels d’un statut se rapprochant autant que possible de celui des agents titulaires et, finalement, de « normaliser » ce statut, le faisant passer d’un statut d’exception à un statut de gestion courante.
Ainsi, les textes, confortés par la jurisprudence, visent à élargir les motifs de recrutement des agents contractuels. Le CDI n’est plus anecdotique dans les faits : recours élargis, contrat de projet, procédure de recrutement officialisée…
La similitude des deux statuts concourt également à cette banalisation du statut d’agent contractuel : avec la suppression de la note pour les agents titulaires, la procédure d’évaluation est désormais identique pour les deux statuts et peut donc faire l’objet de documents et calendriers communs. Notons également que les outils de la mobilité connaissent de forts rapprochements. La portabilité du CDI ressemble fort à une mutation et si les termes « détachement » ou « disponibilité » ne sont pas utilisés pour les agents contractuels, les divers congés de mobilité empruntent cependant les mêmes motifs et les mêmes process.
Simple détail qui traduit bien cette volonté d’assimilation, le CGFP n’utilise plus la notion d’« agent non titulaire » pour désigner les agents contractuels.
Une rémunération plus attractive
La grille de rémunération des praticiens hospitaliers, bien que revue par les les plans Ségur de la santé, connaît de fortes critiques de la part des générations intermédiaires et seniors et ne permet pas d’attirer de nouveaux praticiens sur ce statut.
En revanche, le statut de praticien contractuel connaît un certain succès du fait d’une rémunération, certes encadrée, mais plus attractive et potentiellement négociable.
Cette attractivité va être différente en fonction des motifs de recrutement :
● pour les motifs 1 et 4, la rémunération est encadrée avecun plafond de 71 162,83 euros ;
● pour le motif 3, un calcul de reclassement est à effectuer en tenant compte des années d’activité en secteur libéral ou public ;
● pour le motif 2, qui devient la norme dans de nombreux établissements de santé, la rémunération (part fixe et part variable)peut atteindre 119 130 euros sans condition d’ancienneté. Le régime indemnitaire est également source d’attractivité puisque, à l’exception de la prime de service public exclusif et de l’indemnité d’activité sectorielle de liaison, les praticiens contractuels ont accès à toutes les primes d’attractivité, à savoir :
● la prime d’exercice territorial (PET),
● la prime de solidarité territoriale (PST),
● l’activité en troisième partie de soirée, avec déclenchement du temps de travail additionnel (TTA).
Revalorisation des grilles salariales et étoffement du régime indemnitaire issues des plans Ségur de la santé ont également soigné le statut des agents titulaires non médicaux. Pour autant, la bataille de l’attractivité n’est pas gagnée dans des hôpitaux dont les niveaux de rémunération et les conditions de travail ne satisfont plus les aspirations des professionnels. Alors que le statut de titulaire encadre strictement les rémunérations et les évolutions des agents, le statut d’agent contractuel permet au contraire de s’affranchir de ces grilles et de laisser place à une négociation portant évidemment sur la rémunération mais également sur la durée du contrat, le régime horaire, la nature du poste…autant d’éléments qui donnent à l’hôpital des arguments de recrutement là où la rigidité du statut de fonctionnaire est décriée.
Un phénomène générationnel
À l’hôpital comme dans la société, quatre générations se côtoient aujourd’hui – les baby-boomers, les X, Y et Z –, avec des valeurs et des priorités différentes.
La génération Z, représentée par les actuels internes, ne se projettent plus dans le même exercice et la même carrière et aspirent à un équilibre vie professionnelle/vie personnelle pour lequel l’exercice à temps partiel est un véritable enjeu.
Un emploi sécurisé et garanti tel qu’un CDI ou une titularisation n’est plus une fin en soi pour ces nouvelles générations de professionnels qui ne se projettent plus sur toute une carrière dans un même établissement, voire dans une même profession. Dans cet esprit, le statut de praticien contractuel offre bien davantage de possibilités de flexibilité et de changement prisées par ces jeunes professionnels.
Le personnel non médical n’échappe pas à ce phénomène, les nouvelles générations ne se projetant plus sur toute une carrière dans le même métier et encore moins dans le même établissement. La stabilité du fonctionnariat n’est plus le graal d’une carrière, bien au contraire, les jeunes générations sont davantage attirées par un statut le plus souple possible. Le statut de l’agent contractuel semble alors correspondre à ces attentes, le CDI étant même délaissé au profit d’un CDD jugé plus conforme aux envies de liberté et de moindre engagement institutionnel.
Phénomène générationnel ou effet post-Covid, le statut de l’agent contractuel a le vent en poupe et semble être aujourd’hui le meilleur atout de recrutement pour les établissements publics de santé, ce qui n’est pas sans effet sur la gestion des ressources humaines hospitalières entre effets pervers et nouveaux modes de management.
Le double effet du statut de contractuel
Les dérives du statut
Le Code de la santé publique prévoit quatre motifs de recrutement de praticien contractuel, dont le motif 2 «en cas de difficultés particulières de recrutement ou d’exercice pour une activité nécessaire à l’offre de soins ».
De façon préoccupante, il est constaté un recours de plus en plus fréquent aux contrats sur ce motif 2 pour de longues périodes mais également sur des périodes très courtes, ce que l’on pourrait assimiler à de l’intérim « déguisé », en écho à la loi Rist du 10 mai 2023.
C’est une véritable dérégulation du statut de praticien contractuel qui semble s’opérer : dans certains établissements, le recours à des recrutements sur la base du motif 2 est devenu une pratique courante sans pour autant être synonyme de fidélisation.
Ce phénomène n’est pas sans inquiéter les directions et les présidents de commission médicale d’établissement (CME) du fait de la déstabilisation des équipes et de l’iniquité engendrée avec les praticiens titulaires.
Paradoxe de ce statut, il n’est plus rare d’enregistrer des demandes de disponibilité pour convenance personnelle de la part de praticiens titulaires afin de leur permettre de signer, dans leur même établissement d’affectation, sous le statut de praticien contractuel…
Face à ces dérives, un projet de décret est actuellement soumis à consultation du Conseil supérieur des personnels médicaux, odontologistes et pharmaceutiques, proposant plusieurs mesures permettant d’encadrer et de limiter l’usage de ce type de contrats.
Il est notamment question :
● de limiter son accès aux médecins inscrits à l’Ordre depuis plus de cinq ans ;
● d’encadrer sa durée initiale de six mois à trois ans renouvelables sans excéder six ans avec un temps de travail qui ne peut être inférieur à 40 % ;
● de prévoir une interdiction pour un praticien hospitalier d’utiliser la disponibilité pour convenance personnelle pour se positionner sur un contrat de motif 2 ;
● de garantir une meilleure régulation des rémunérations avec une part de rémunération variable qui sera déterminée en fonction de l’expérience du praticien et du niveau de responsabilité et d’expertise requis dans l’exercice des fonctions.
Bien que construit différemment, le statut d’agent contractuel des personnels non médicaux n’échappe pas à ces difficultés. Avec l’essor du recrutement des agents contractuels et la négociation que cela implique parfois, il est difficile de faire coexister au sein d’une même équipe des agents aux situations comparables en termes de missions et d’expérience mais qui n’ont pas le même statut, ni la même rémunération. La difficulté est d’autant plus importante quand de jeunes professionnels sont recrutés contractuellement avec une rémunération négociée équivalente à celle de leurs collègues plus expérimentés.
Si la prime de service reste l’apanage des agents titulaires, cet atout n’en est plus un à côté des négociations salariales auxquelles les contrats de travail sont soumis pour certaines situations comme celles des métiers en tension. L’attirance pour ce mode de négociation est telle qu’il n’est plus rare de constater, à l’instar de ce qui se passe pour les médecins, des demandes de disponibilité voire de démission de la part d’agents titulaires qui souhaitent passer sous un statut d’agent contractuel… Un renversement de tendance qui était absolument inimaginable il y a encore quelques années.
Des impacts sur la gestion des ressources humaines
Les directions des affaires médicales et des ressources humaines pour le personnel non médical doivent s’adapter à ces nouveaux modes de recrutement, sans plus de moyens pour y parvenir.
En pratique, la gestion d’agents contractuels n’est pas sans impact sur l’organisation d’une direction : maîtrise d’un double statut, multiplication du nombre de personnels et donc de contrats et documents à produire, turn-over important, modification des pratiques et des organisations…
Quelques exemples de ces impacts :
● un nombre de contrat de contractuels en hausse prolongée depuis un certain nombre d’années, très souvent des contrats de courte durée ;
● dans un service d’urgence d’un établissement d’environ400 médecins, une moyenne de 40 contrats mensuels aété relevée pour faire tourner le service et répondre à unnombre de postes vacants croissant. Les directions gérantdu personnel à l’hôpital deviennent-elles des sociétés d’intérim dans certaines spécialités ? ;
● les contractuels PM ou PNM négocient leur rémunération mais sont également demandeurs de solutions en termes de logement, de crèche, d’emploi pour le conjoint ou la conjointe, d’amélioration des conditions de travail…
Pour répondre à ces sollicitations, les directeurs des affaires médicales et directeurs des ressources humaines doivent faire preuve d’innovation, ce qui suppose des moyens et du temps…
Plus qu’une simple tendance, l’essor des personnels contractuels à l’hôpital semble s’installer durablement au point de devenir la nouvelle norme.
Illustration de cette révolution, et alors que les chefs de service contractuels ne font plus exception, un praticien contractuel a été récemment élu, pour la première fois dans un hôpital, président de la CME.
Un réel changement de paradigme qui interroge sur le sens du service public et la nécessité de le doter d’un statut propre nécessaire à son fonctionnement.
Alors que des réformes statutaires sont en attente, pour le personnel tant médical que non médical, l’avènement d’un nouveau statut unique serait-il la clé du défi de l’attractivité des hôpitaux ?
Notes
[1] AP-HP/Commission médicale d’établissement, « Compte-rendu de la séance plénière du mardi 8 février 2022 » – cme.aphp.fr
[2] Ministère de la Transformation et de la fonction publiques/DGAFP, « Fonction publique – Chiffres clés 2022 » – www.fonction-publique. gouv.fr