Article – Le temps d’intervention pendant la période d’astreinte peut-il avoir une double qualification? Non!

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 22/07/2024

Mélanie Dupé, juriste, consultante Centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions hospitalières, n° 637 – juin 2024

Le temps d’intervention et de déplacement durant une période d’astreinte correspond à du temps de travail effectif et ne peut être considéré et comptabilisé comme du temps d’astreinte. Ainsi ce temps doit-il être déduit du temps d’astreinte global. C’est en ce sens que s’est positionnée la cour administrative d’appel de Toulouse dans un arrêt du 6 février 2024 [1], une interprétation que nous pourrions qualifier de logique voire d’évidente ! Pour autant, la lecture et l’application des textes sur le terrain ne reflètent pas forcément cette position. Reprenons le dispositif de l’astreinte et la définition du temps de travail effectif pour étudier le raisonnement des juges.

Astreinte : définition et dispositif

Une période d’astreinte [2] s’entend comme une période pendant laquelle l’agent, qui n’est pas sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de son employeur, a l’obligation d’être en mesure d’intervenir pour effectuer un travail au service de l’établissement.

L’astreinte n’est pas une période de travail effectif mais la durée de chaque intervention, temps de trajet inclus, est considérée comme temps de travail effectif.

Le recours aux astreintes a pour objet de faire face au caractère exceptionnel de certaines interventions incombant aux établissements dans le cadre de leurs missions de soins, d’accueil et de prise en charge des personnes. Les astreintes permettent également de garantir toute intervention touchant à la sécurité et au fonctionnement des installations et des équipements lorsque ces prises en charge, soins et interventions ne peuvent être effectués par les seuls personnels en situation de travail effectif dans l’établissement.
Les corps et grades ou les emplois pouvant effectuer des astreintes sont fixés par un arrêté du ministre chargé de la Santé [3].
Par exception, le régime d’astreinte du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 n’est pas applicable aux astreintes auxquelles sont soumis, en raison de leurs fonctions, les personnels de direction ainsi que les cadres, désignés par le chef d’établissement, qui bénéficient soit d’une concession de logement pour nécessité absolue de service, soit d’une indemnité compensatrice.

C’est le chef d’établissement qui établit la liste des activités, des services et des catégories de personnels concernés par les astreintes. Il détermine également le mode d’organisation retenu, compte tenu de l’évaluation des besoins (notamment du degré de réponse à l’urgence), des délais de route et de la périodicité des appels. Dans ce cadre, l’avis du comité social d’établissement (CSE) est requis.

Un agent ne peut participer au fonctionnement du service d’astreinte que dans la limite d’un samedi, d’un dimanche et d’un jour férié par mois sans que la durée de l’astreinte ne puisse excéder 72 heures pour 15 jours (cette limite est portée à 120 heures pour les services organisant les activités de prélèvement et de transplantation d’organe).

Les agents assurant leur service d’astreinte doivent pouvoir être joints par tous les moyens appropriés, à la charge de l’établissement, pendant toute la durée de cette astreinte. Ils doivent pouvoir intervenir dans un délai qui ne peut être supérieur à celui qui leur est habituellement nécessaire pour se rendre sur le lieu d’intervention.

Le temps passé en astreinte, qui n’est donc pas du temps de travail effectif, donne lieu soit à compensation horaire, soit à indemnisation.

La compensation horaire est fixée au quart de la durée totale de l’astreinte à domicile.

L’indemnisation horaire correspond au quart d’une somme déterminée en prenant pour base le traitement indiciaire brut annuel de l’agent concerné au moment de l’astreinte dans la limite de l’indice brut 638 augmenté le cas échéant de l’indemnité de résidence, le tout divisé par 1820.

Cette indemnisation peut, à titre exceptionnel, dans un secteur d’activité et pour certaines catégories de personnels, être portée au tiers de la somme susmentionnée lorsque le degré des contraintes de continuité de service est particulièrement élevé dans le secteur et pour les personnels concernés [4].

Temps de travail effectif, définition

Le temps de travail effectif [5] s’entend comme le temps pendant lequel l’agent est à la disposition de son employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles.

Cette définition permet notamment de déterminer lorsqu’un agent est rémunéré, lorsqu’il est en pause ou encore les « temps satellites » tel le temps d’habillage. Elle permet aussi de définir ce qui entre dans le décompte de l’obligation annuelle de travail.

Le temps d’intervention et de déplacement n’est pas de l’astreinte

Selon l’arrêt de la cour administrative d’appel de Toulouse du 6 février 2024[6] :« Le 27 juillet 2019, les agents du centre hospitalier universitaire de Toulouse ont été informés, par la publication sur le site intranet de l’établissement de la lettre Trait d’union n° 127, de la modification des règles d’indemnisation du temps d’intervention pendant une période d’astreinte, rendues applicables au sein de l’établissement à compter du mois d’août 2019. Alors que, jusqu’à cette date, le temps d’intervention n’était pas déduit du temps d’astreinte, cette lettre est venue préciser qu’il ne serait désormais plus pris en compte pour le calcul de l’indemnité d’astreinte. »[…]« Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a regardé la lettre publiée le 27 juillet 2019 sur le site intranet de l’établissement comme un document de portée générale présentant un caractère impératif en ce qu’elle indiquait notamment que “ […] lorsqu’un agent est amené à intervenir pendant son temps d’astreinte et sur toute sa durée, l’indemnisation de l’astreinte doit être suspendue“ et concluait que “pour être conforme à la réglementation, à compter du mois d’août 2019, le temps d’intervention sera décompté de la durée totale de l’astreinte”. » […]

Dans cet arrêt, le juge administratif tient à souligner que l’astreinte et le temps de travail effectif sont deux notions différentes. Dès lors, si le temps d’astreinte pendant lequel l’agent n’est pas dérangé mais doit se tenir prêt à intervenir en cas d’appel n’est pas du temps de travail effectif, le temps d’intervention qui inclut le temps de trajet est bel et bien du temps de travail effectif.

Cette dichotomie a un impact à deux niveaux :

  • l’intervention (temps de trajet inclus) n’étant pas considérée comme de l’astreinte, elle ne pourra être décomptée dans les 72 heures à ne pas dépasser sur une période de 15 jours. Ce temps devra cependant être pris en compte pour le décompte de l’obligation annuelle de temps de travail ;
  • si le temps d’astreinte ne pose aucune interrogation avec une indemnité précisée par décret [7], le temps d’intervention (trajet inclus) pendant une période d’astreinte suscite davantage de divergence dans les interprétations…

La circulaire du 18 avril 2002 [8] prévoyait que l’indemnisation de l’astreinte restait acquise lorsque les agents étaient amenés à se déplacer pour effectuer une intervention, mais cette disposition n’avait pas été reprise dans le décret n° 2003-507 du 11 juin 2003 portant sur la compensation et l’indemnisation du service d’astreinte [9].

L’arrêt du 6 février 2024 [10] vient clore le débat : le temps d’intervention, qui inclut le temps de trajet, étant du temps de travail effectif, il ne peut être indemnisé au titre du régime des astreintes et du temps de travail effectif (en heures supplémentaires).

Conclusion

Si l’astreinte pouvait s’interpréter comme un dispositif n’étant ni du temps de travail ni du temps de repos, la position du juge administratif vient donner un nouveau point de vue. En effet, et pour éviter les confusions, il est préférable de considérer l’agent soit en astreinte, soit en temps de travail effectif, admettant ainsi qu’il est impossible de se retrouver dans les deux situations simultanément, et par conséquent impossible de bénéficier d’une double indemnisation sur une même période !
C’est en effet une position très logique de la cour administrative d’appel de Toulouse du 6 février 2024.
Dans un tout autre registre mais qui suscite aussi de nombreux débats, il pourrait être intéressant de faire un parallèle avec la situation des agents en congés annuels qui reviennent travailler dans la structure pour effectuer une mission de remplacement…
Vous avez quatre heures !


Notes

[1] CAA Toulouse du 6 février 2024 n° 22TL20848.

[2] Décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l’organisation du temps de travail dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, articles 20 à 25.

[3] Arrêté du 24 avril 2002 fixant la liste des corps, grades ou emplois autorisés à réaliser des astreintes dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.

[4] Décret n° 2003-507 du 11 juin 2003 relatif à la compensation et à l’indemnisation du service d’astreinte dans les établissements de la fonction publique hospitalière, article 1.

[5] Décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002 relatif au temps de travail et à l’organisation du temps de travail dans les établissements mentionnés à l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, article 5.

[6] CAA Toulouse du 6 février 2024 n° 22TL20848.

[7] Décret n° 2003-507 du 11 juin 2003 relatif à la compensation et à l’indemnisation du service d’astreinte dans les établissements de la fonction publique hospitalière.

[8] Circulaire Dhos/P1/2002/240du 18 avril 2002 relative à l’application du décret n° 2002-9 du 4 janvier 2002.

[9] Manuel de gestion des ressources humaines dans la fonction publique hospitalière, Presses de l’EHESP.

[10] CAA Toulouse du 6 février 2024 n° 22TL20848.