ARTICLE – Médiation dans les ressources humaines hospitalières : Savoir limiter la casse ?
Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n°590, novembre 2019, pages 581.
Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH
Et si l’hôpital développait une véritable stratégie de prévention des contentieux dans les ressources humaines ? Sans faire de sociologie de comptoir, on peut se demander si les établissements publics sanitaires et médico-sociaux ne jouent pas plus souvent la montre que la carte de l’apaisement dans le règlement de leurs différends avec leurs agents. Le virage d’une résolution à l’amiable des litiges est souvent raté, et le conflit, géré en roue libre.
Un récent décret du 28 août 2019[1] instituant un médiateur national et des médiateurs régionaux ou interrégionaux pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux vient rappeler les principes fondamentaux sur la conduite à tenir, et propose de nouveaux outils.
Il dote les établissements de la fonction publique hospitalière (FPH) d’un dispositif ad hoc, à la différence de la fonction publique territoriale et la fonction publique d’Etat, pour lesquelles un décret de février 2018[2] a certes introduit plus tôt la démarche, mais pour certaines catégories de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux seulement, et à titre expérimental uniquement.
Dans la FPH, le dispositif est instauré de façon pérenne. Les articles 1 à 3 du décret en posent les principes fondamentaux. La médiation y est définie comme « tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure juridictionnelle en vue de la résolution amiable de leur différend, avec l’aide d’un tiers qui accomplit sa mission avec indépendance, impartialité, neutralité, équité, en mettant en œuvre compétence et diligence ».
De quoi prendre la bonne direction …
- Tracer le chemin : le périmètre du dispositif de médiation
Le texte définit tout d’abord le périmètre dans lequel peut s’inscrire la médiation pour les personnels des établissements publics de santé, sociaux et médico-sociaux. Celle-ci s’applique à tout différend entre professionnels, opposant soit un agent à sa hiérarchie soit des personnels entre eux dans le cadre de leurs relations professionnelles dès lors qu’ils sont employés par le même établissement, au sein d’une direction commune ou d’un même groupement hospitalier de territoire (GHT). On remarque ici que la médiation ne se limite pas aux conflits hiérarchiques intra-établissements, mais qu’elle peut s’étendre :
- A des différends opposant des professionnels unis par un simple lien fonctionnel ;
- A des différends entre professionnels d’établissements différents, reliés par une direction commune ou l’appartenance à un même GHT.
Un souci de pragmatisme préside à cette disposition, encore que l’on pourrait rencontrer l’hypothèse de litiges entre professionnels de deux établissements publics, hors de tout GHT et de toute direction commune. On aurait peut-être pu aller un peu plus loin encore…
La médiation intervient dès lors que le différend porte une atteinte grave au fonctionnement normal du service, sans que le texte ne précise cette notion d’« atteinte grave ». Le préjudice généré par ce différend est donc celui subi par le service public, plus que celui invoqué par les parties elles-mêmes.
Sont exclus du champ de la médiation, certains types de litiges :
- Les conflits sociaux (à la différence de l’expérimentation en cours dans les deux autres fonctions publiques) ; la médiation n’est donc pas en elle-même un outil du dialogue social ;
- Les différends relevant des instances représentatives du personnel,
- Ceux faisant l’objet d’une saisine du Défenseur des droits ou d’une procédure disciplinaire,
- Et les différends relatifs à des décisions prises après avis d’un comité médical ou d’une commission de réforme, ce qui exclut la plupart des différends entre un agent et son employeur concernant la protection sociale du fonctionnaire (octroi ou renouvellement des congés, reconnaissance de l’imputabilité au service…).
On pourra à l’inverse y trouver, entre autres, les litiges relatifs :
- A l’entretien d’évaluation, à une procédure d’avancement,
- A l’octroi d’une prime, d’une indemnité…
- A l’organisation du poste de travail, aux horaires de travail, à l’affectation de l’agent,
- Aux relations entre professionnels d’une même équipe ou d’un même service …
Notons d’ailleurs que la procédure est applicable aux litiges mettant en cause des professionnels médicaux. La pratique contentieuse a d’ailleurs pu identifier des tentatives de médiation avec des médecins, même si celles-ci peuvent se solder par un échec (voir par exemple, CAA BORDEAUX, 25 juin 2019, n°17BX01654) Elle n’est donc pas limitée aux personnels titulaires de la fonction publique hospitalière. S’agissant des praticiens hospitaliers, précisons toutefois que la saisine du médiateur n’est ouverte, selon le décret, que lorsque le différend n’a pu être résolu dans le cadre d’un dispositif local de conciliation ou de médiation et, le cas échéant, qu’après avoir été porté devant la commission régionale paritaire placée auprès du directeur général de l’Agence Régionale de Santé – DG ARS (Art.R.6152-326 du code de la santé publique – CSP) lorsque le différend concerne au moins un praticien hospitalier temps plein ou temps partiel.
Enfin, ajoutons que la formulation du texte ouvre la possibilité d’une médiation aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière.
- Connaître les pilotes : Création d’un médiateur national et de médiateurs régionaux ou interrégionaux
Le texte crée des médiateurs régionaux ou interrégionaux et un médiateur national chargé de coordonner l’activité des médiateurs régionaux ou interrégionaux et d’animer le réseau de ces médiateurs.
Des médiateurs régionaux ou interrégionaux sont nommés, pour une durée maximale de trois ans renouvelable une fois, par arrêté ministériel.
Dans chaque ressort territorial, une instance régionale ou interrégionale de médiation est créée auprès du médiateur régional ou interrégional. Le médiateur en assure la présidence. Outre le président, l’instance est composée de dix membres, nommés par arrêté du DG ARS territorialement compétent, pour une durée maximale de trois ans renouvelable une fois.
Le médiateur régional ou interrégional peut être saisi :
- Soit par l’une des parties concernées,
- Soit par le directeur de l’établissement d’affectation lorsque le différend concerne un personnel non médical,
- Soit par le président de la commission médicale d’établissement (CE) conjointement avec le directeur de l’établissement d’affectation pour les seuls personnels médicaux, ainsi que le doyen de l’unité de formation et de recherche (UFR) concerné pour les personnels hospitalo-universitaires et les étudiants de son ressort,
- Soit par le DG ARS,
- Soit par le directeur général du Centre national de gestion s’agissant des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière,
- Soit par le préfet de département où se situe l’établissement social concerné par le différend.
Quant au médiateur national, il peut, outre sa fonction de coordination être amené à assurer la médiation de certains litiges. Ainsi, il est saisi :
- Soit par les ministres chargés de la santé et des affaires sociales,
- Soit, lorsque l’examen d’une saisine au niveau régional ou interrégional n’a pas abouti, par le médiateur régional ou interrégional qui a été saisi au préalable du différend ou par le directeur général du Centre national de gestion (CNG) s’agissant des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la FPH.
L’échelon régional, interrégional et a fortiori national crée une distance potentiellement grande entre le lieu du différend, souvent interne à un établissement, et les acteurs chargés d’accompagner son règlement. Distance compensée par la possibilité d’une saisine directe du médiateur régional ou interrégional par l’une des parties au litiges, ce qui offre à celles-ci un accès direct à ce mode de règlement amiable du litige.
- Suivre l’itinéraire d’une médiation
Le médiateur régional ou interrégional est saisi par voie électronique. Il accuse réception de cette saisine dans un délai de huit jours. Il en informe le directeur de l’établissement d’affectation, ainsi que le président de la CME lorsque le différend concerne au moins un personnel médical, et le doyen de l’UFR concernée lorsqu’il concerne au moins un personnel hospitalo-universitaire ou un étudiant de son ressort.
La demande est instruite avant d’engager la médiation. L’instruction donne lieu à l’organisation de rencontres entre les membres de l’instance et les parties concernées et permet de réunir toutes informations utiles à la médiation notamment les conclusions de la conciliation locale. Si le différend remplit les critères du décret, le médiateur recueille l’accord écrit des parties concernées pour engager la médiation et accéder aux dossiers individuels des intéressés.
A l’issue de la médiation, des préconisations sont formulées et un contrat de médiation est élaboré dans un délai de trois mois à compter du recueil écrit de l’accord des parties concernées. Le contrat de médiation est accepté et formellement signé par les parties en cause lorsqu’il remporte leur adhésion et est transmis au directeur de l’établissement d’affectation, ainsi qu’au président de la CME lorsque le différend concerne au moins un personnel médical, et au doyen de UFR concernée lorsqu’il concerne au moins un personnel hospitalo-universitaire ou un étudiant de son ressort.
Le médiateur régional ou interrégional et le médiateur national assurent le suivi et l’évaluation de chaque contrat de médiation.
Lorsque l’auteur de la saisine est un membre du personnel enseignant et hospitalier ou un agent public régi par les dispositions de la section 1 du chapitre III du titre V du livre Ier de la sixième partie du code de la santé publique, le médiateur national, régional ou interrégional en informe le médiateur de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur et les médiateurs académiques compétents (article L. 23-10-1 du code de l’éducation)
Lorsqu’aucune solution n’a pu être trouvée dans un délai de trois mois à compter du recueil de l’accord écrit des parties concernées, le médiateur régional ou interrégional peut saisir le médiateur national. Le cas échéant, le médiateur régional ou interrégional en informe les parties.
Le texte ne va pas plus loin et ne détaille pas précisément le déroulement de la médiation. Il ne fait que fixer certains préalables ou éléments incontournables de la procédure (ex. information des acteurs, recueil de l’accord des parties, accès au dossier des agents…). On peut supposer que le règlement intérieur que chaque instance régionale ou interrégionale doit élaborer (article 5 du décret) permettra de préciser les modalités pratiques de cette démarche.
- S’engager dans la bonne voie
L’esprit comme la lettre du décret d’août 2019 sont clairs : ils ne font de la médiation, ni un passage obligé, ni la voie unique de règlement des litiges dans les ressources humaines hospitalières. L’enjeu est plutôt d’enrichir la boîte à outils des équipes hospitalières et de leurs gestionnaires dans la résolution non contentieuse des différends interpersonnels.
La pratique juridique tend à regrouper sous le terme de « modes alternatifs de règlement des conflits » divers dispositifs : la médiation, mais aussi la conciliation, la négociation, l’arbitrage, la transaction… Si le terme de négociation reste générique et peu relié à un cadre juridiquement opposable en droit public, les autres notions renvoient à des bases légales ou réglementaires précises, quoique méconnues, et pas toutes applicables aux litiges en matière de ressources humaines.
Ainsi, l’arbitrage, qui confie le règlement du litige à des « juges conventionnels »[3] reste marginal dans le secteur public, seule la loi pouvant l’autoriser, ce qu’elle ne fait que dans de rares cas (par exemple dans le domaine des marchés publics, article L.311-6 du code de justice administrative).
La conciliation doit, elle aussi, être prévue par un texte, certes réglementaire, conformément à l’article 421-1 du code des relations entre le public et l’administration – CRPA. Elle reste elle aussi peu développée dans la gestion et le fonctionnement des établissements publics sanitaires et médico-sociaux, à l’exception du mécanisme de règlement amiable des accidents médicaux, porté par les commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI, article L.1142-5 CSP).
La transaction en revanche est clairement identifiée. L’article 2044 du code civil dispose que : « La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ».
L’administration peut y recourir, sur le fondement de l’article L.423-1 CRPA : « Ainsi que le prévoit l’article 2044 du code civil et sous réserve qu’elle porte sur un objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées, il peut être recouru à une transaction pour terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l’administration. La transaction est formalisée par un contrat écrit ».
Dans la fonction publique hospitalière, le dispositif de transaction est, là encore, mal connu et peu utilisé. Pourtant, le juge administratif a pu en reconnaître explicitement la licéité dans le règlement des litiges entre un établissement employeur et l’un de ses agents :
« Aucune disposition législative ou réglementaire applicable aux agents de la fonction publique hospitalière, ni aucun principe général du droit, ne fait obstacle à ce que l’administration conclue avec un fonctionnaire régi par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, ayant fait l’objet d’une décision l’admettant à la retraite pour invalidité non imputable au service, une transaction par laquelle, dans le respect des conditions précédemment mentionnées, les parties conviennent de mettre fin à l’ensemble des litiges nés de l’édiction de cette décision ou de prévenir ceux qu’elle pourrait faire naître, incluant la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et celle qui tend à la réparation des préjudices résultant de son éventuelle illégalité » (CE, 5 juin 2019, centre hospitalier de Sedan, n°412732)[4].
Le juge rappelle les conditions de validité de la transaction :
- La licéité de son objet,
- La détermination de concessions réciproques et équilibrées,
- Et le respect de l’ordre public.
La circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits apporte d’utiles précisions pour déployer de manière sécurisée et pertinente la pratique de la transaction, notamment s’agissant de la rédaction du protocole transactionnel. Elle rappelle utilement que, lorsqu’une transaction a été régulièrement conclue et que les parties ont exécuté les obligations qu’elle comporte, elle fait obstacle à tout recours juridictionnel ultérieur concernant le même litige.
Selon la nature et la gravité du litige, il peut donc être pertinent de conclure une transaction (parfois appelée « protocole transactionnel ») à l’issue d’une médiation qui a positivement abouti, afin de sécuriser juridiquement l’issue de la procédure.
CONCLUSION :
Le texte est l’occasion pour les directeurs d’établissements sanitaires et médico-sociaux d’engager une réflexion de fond sur le règlement amiable des litiges en matière de ressources humaines. A l’hôpital, rappelons que l’article L.6143-7 CSP accorde au directeur d’hôpital le pouvoir de transiger. Le récent décret sur la médiation ouvre de nouvelles perspectives, et offre un cadre institutionnel qui peut être rassurant pour les acteurs. De quoi limiter la casse, et éviter les contentieux, toujours mal vécus par les équipes…
[1] JO du 30 août 2019
[2] Décret n° 2018-101 du 16 février 2018 portant expérimentation d’une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux – JO du 1er février 2018
[3] P.CHRETIEN, N.CHIFFLOT, M.TOURBE, Droit administratif, SIREY, 15e édition, §114
[4] Revue Droit administratif, n°8-9, août 2019, comm.43, note A.LEBON