Article – Non-renouvellement de CDD, indemnités et allocation de retour à l’emploi. Quelle boussole suivre ?

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 10/01/2024

Céline Berthier, consultante du centre de droit JuriSanté du CNEH

Article paru dans la revue Gestions Hospitalières, n° 631 – décembre 2023

Selon le dernier rapport annuel sur l’état de la fonction publique [1], la fonction publique hospitalière comptait au 31 décembre 2020 271 800 agents contractuels, ce qui représente 23 % de ses effectifs totaux, soit près d’un agent sur quatre. Ce nombre a progressé de 9,6 % entre 2019 et 2020 (contre 3,8 % entre 2011 et 2019). La majorité de ces agents sont en contrat à durée déterminée (CDD), principalement sur un motif de remplacement, ce qui signifie pour les établissements employeurs une gymnastique permanente pour leur gestion entre durée, fin de contrat et délai de prévenance, renouvellement ou non, et les droits qui y sont associés.

La loi du 6 août 2019 [2], malgré une intention louable de vouloir renforcer le statut des agents contractuels, n’a pas simplifié la gestion de ces situations avec l’instauration d’une indemnité « précarité » ou plutôt une indemnité de fin de contrat. Cette indemnité, allant de pair avec le versement, ou non, de l’allocation de retour à l’emploi (ARE), vient questionner quotidiennement la pratique des établissements sur ces règles fondamentales pour l’agent contractuel et qui, pourtant, manquent encore de clarté. Quelle éligibilité pour un agent en CDD qui refuse un renouvellement de contrat ? Les critères d’appréciation sont-ils les mêmes si ce refus concerne un CDD, son non-renouvellement ou une proposition de CDI ? Comment apprécier cette notion de précarité ? Dans un jugement du 15 septembre 2023 [3], le tribunal administratif de Bordeaux a tenté de répondre à ces questions.

Le dispositif de l’indemnité de fin de contrat

Ce que prévoit le texte

Prévue par l’article 23 de la loi du 6 août 2019, l’indemnité de fin de contrat a été encadrée par un décret du 23 octobre 2020 [4], avec une entrée en vigueur pour les contrats signés à compter du 1er janvier 2021.

Le dispositif et ses critères sont, en apparence, clairs et logiques :

  • une indemnité de fin de contrat est proposée aux agents en CDD dont le contrat, exécuté jusqu’à son terme, a duré moins de 12 mois dans l’établissement ;
  • cette indemnité est fixée à 10 % de la rémunération brute globale perçue par l’agent au titre de ce contrat ;
  • cette indemnité n’est pas due si l’agent percevait une rémunération mensuelle de plus de deux fois le Smic ;
  • elle n’est pas due non plus si l’agent était en contrat saisonnier au sens de l’article L. 332-23 du Code général de la fonction publique (CGFP) ;
  • elle n’est pas due non plus en cas de mise en stage (ou de refus), de refus de CDI pour occuper le même emploi ou un emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente ;
  • elle doit être versée au plus tard un mois après le terme du contrat.

Le dispositif, qui s’inspire de celui de la prime précarité prévue par le Code du travail, est réservé dans la fonction publique hospitalière (FPH) aux agents restés dans l’établissement moins de 12 mois et à qui il n’est rien proposé par la suite.

A contrario, l’indemnité n’est pas due aux agents restés plus de 12 mois et à qui il n’est pas non plus proposé de suite : pour autant, ne sont-ils pas également en situation de précarité ? Le paradoxe mérite d’être souligné.

Ce que ne prévoit pas (clairement) le texte

Si les conditions de versement paraissent claires, la pratique l’est moins s’agissant de l’éligibilité de cette indemnité lorsqu’il a été proposé un renouvellement de contrat sous forme de CDD à l’agent, renouvellement qu’il a refusé.

L’article 3 du décret indique que l’indemnité « n’est pas due si l’agent refuse la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente ».

Qu’entend-on par emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente ? Le texte ne semble viser ici que le refus de CDI de la part de l’agent comme cas de non-versement de cette indemnité. Ainsi, un renouvellement de CDD, dans les mêmes conditions que le contrat initial qui vient de se terminer, ne répondrait pas à cette définition puisque ne seraient visés ici que les CDI ? En pratique, bon nombre d’établissements sont confrontés quotidiennement à cette situation, le CDD étant sans doute la forme de contrat la plus utilisée.

Si le but de cette indemnité est de compenser la précarité dans laquelle les agents sont laissés sans nouvelle proposition de contrat, est-elle due en cas de refus de renouvellement de CDD de la part de l’agent ?

En effet, dans ce cas précis, un nouveau contrat est bien proposé à l’agent, qui le refuse et se place de lui-même en situation de précarité. C’est en tout cas une interprétation souvent constatée en pratique et qui mérite d’être éclaircie. À cette question de l’indemnité de fin de contrat s’ajoute celle du versement de l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE) : si l’agent a refusé la signature d’un nouveau contrat à durée déterminée, cette allocation doit-elle lui être versée ?

Sur cette question intervient la notion de motif légitime : si ce refus est par exemple motivé par un éloignement ou une mutation du conjoint, la nécessité de prendre soin d’un proche, de s’éloigner pour des faits de violences conjugales ou encore pour réaliser une formation, ce refus sera jugé comme légitime et l’agent percevra l’ARE.

A contrario, si ce refus n’est pas considéré comme légitime, voire s’il se traduit uniquement par un silence de plus de 8 jours (article 41 du décret de 1991 [5]), l’agent ne pourra pré- tendre à l’ARE, dans un premier temps en tout cas.

Ce domaine obéit cependant à des règles propres au Code du travail et aux critères édictés par l’administration Pôle Emploi, qui laissent encore une fois les établissements en proie aux incertitudes.

Les établissements publics étant les propres financeurs de ces allocations, ces questions ont toute leur importance et représentent un intérêt financier non négligeable, tant pour les établissements que pour les agents. Plus concrètement encore, quel motif saisir pour le refus de nouvellement de CDD à l’initiative de l’agent quand ce motif n’existe pas auprès de Pôle Emploi ?

Saisi de ces questions en octobre 2021 par un agent hospitalier à propos d’un refus de renouvellement de contrat et de ses conséquences financières, le tribunal administratif de Bordeaux en a livré une première interprétation par un jugement en date du 15 septembre 2023.

La position du tribunal administratif de Bordeaux

Il s’agissait en l’espèce du contrat d’un agent hospitalier exécuté du 3 mai au 31 août 2021, contrat conclu pour répondre à un surcroît d’activité qui prévoyait un article 11 selon lequel le refus de renouvellement de la part de l’agent entraînait le non-versement de l’indemnité de fin de contrat.

En date du 23 août 2021, l’agent avait indiqué refuser de renouveler ce contrat pour des raisons de santé sans davantage de précisions, et ce avant même que le CHU de Bordeaux ne lui fasse part de sa propre intention de renouvellement.

Par la suite, le CHU de Bordeaux avait refusé à cet agent le versement de l’indemnité de fin de contrat ainsi que le bénéfice de l’ARE, considérant alors qu’il était volontairement privé d’emploi, selon la formule consacrée.

Saisi par l’agent, le tribunal administratif de Bordeaux a été amené à s’interroger sur la nature et les conséquences d’un refus de renouvellement de contrat de sa part de l’agent. Les réponses apportées par le tribunal administratif de Bordeaux sont intéressantes à bien des égards.

Il est tout d’abord rappelé que la méconnaissance par l’établissement employeur du délai de prévenance [6] durant lequel il est stipulé à l’agent si son contrat en cours sera renouvelé est sans incidence sur la légalité de la décision de renouveler ou non ce contrat. Il s’agit ici d’une nouvelle reconnaissance [7] par le juge administratif de la souplesse dont ont besoin les établissements de santé au quotidien dans la gestion de leurs CDD, souvent de remplacement. Le juge rappelle ensuite que l’agent qui refuse le renouvellement d’un contrat ne peut être regardé comme privé involontairement d’emploi, sauf si le motif de ce refus est fondé sur un motif légitime. En l’espèce, les raisons de santé, puis les conditions de travail au CHU ou encore des projets personnels invoquées par l’agent dans ses écrits n’étaient pas davantage étayés et ne pouvaient donc être considérés comme légitimes.

En conséquence, cette privation volontaire d’emploi entraîne le non-versement de l’ARE et, à cet effet, le tribunal administratif a pu préciser qu’en de telles circonstances, le motif à libeller sur l’attestation destinée à Pôle Emploi était « rupture anticipée d’un CDD à l’initiative du salarié » (case 37 du formulaire ad hoc).

Derrière cet aspect technique et administratif, il s’agit ici d’une précision fort utile pour les établissements qui doivent utiliser des formulaires génériques et non spécifiques à leurs pratiques pour l’attribution de l’ARE via Pôle Emploi, formulaires qui sont la source fréquente d’interrogations de la part d’agents qui ne comprennent pas cette mention alors que le CDD initial a bien été exécuté jusqu’au bout. S’agissant enfin du versement de l’indemnité de fin de contrat, le juge a tout d’abord rappelé l’énoncé des raisons pour lesquelles cette indemnité n’est pas due, à savoir :

  • la nomination en qualité de stagiaire ou d’élève suite à un concours ;
  • le bénéfice d’un renouvellement de contrat ou de la conclusion d’un nouveau contrat, à durée déterminée ou indéterminée au sein de la fonction publique dans laquelle ils ont été recrutés ;
  • si le contrat n’a pas été exécuté jusqu’à son terme.

Le juge rappelle enfin que cette indemnité n’est pas due si l’agent refuse la conclusion d’un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire auprès du même employeur, assorti d’une rémunération au moins équivalente.

Comment a-t-il alors analysé la situation : un refus anticipé de renouvellement de CDD peut-il être considéré comme bénéfice d’un emploi similaire n’ouvrant pas droit à l’indemnité de fin de contrat ? La réponse est non.

Après avoir rappelé que le contrat initial avait bien été exécuté jusqu’à son terme, le juge a adopté une lecture très stricte du texte en indiquant qu’aucun texte ne prévoyait une exclusion de l’indemnité de fin de contrat en cas de renouvellement de contrat et ainsi conclure au bénéfice du versement de l’indemnité à l’agent concerné.

Si cette lecture est stricte, elle a le mérite de trancher sur une question qui fait débat au sein de la FPH depuis la création de cette indemnité et est source de pratiques diverses.

Ainsi, l’indemnité n’est pas due si l’agent bénéficie d’une mise en stage, si un nouveau contrat est signé ou s’il refuse un CDI, et un CDI uniquement.

Le refus d’un CDD n’étant pas clairement prévu par le texte, l’indemnité est alors due même si un nouveau contrat a bien été proposé par l’agent mais que ce dernier l’a refusé.

Paradoxe encore une fois de la gestion des agents contractuels, où un refus de renouvellement de contrat sans motif est considéré comme volontaire et ne donnera pas lieu au versement de l’ARE mais pour autant donnera bien lieu au versement de l’indemnité de fin de contrat dite « indemnité précarité ».

Le juge administratif livre ici une lecture de la notion de précarité favorable à l’agent contractuel dont le statut, dicté par le décret de 1991 et ses textes successifs, est encore à bien des égards fragile et ambivalent. S’il est, pour la doctrine, souvent considéré comme « le petit statut », il ne livre pas les mêmes garanties et protections dont bénéficient les agents fonctionnaires. Ainsi, il a récemment été rappelé que la procédure disciplinaire de l’agent contractuel ne prévoit pas, dans l’entretien préalable, de débat contradictoire [8] ou encore qu’un arrêt maladie durant la période d’essai ne proroge pas celle-ci [9].

Le statut de l’agent contractuel hospitalier navigue encore aujourd’hui entre le Code du travail et la fonction publique, sur un navire bâti en 1991 qui ne correspond plus aux réalités actuelles. Si les récentes évolutions, telles que l’indemnité de fin de contrat ou le Code général de la fonction publique, tendent à conforter cet ouvrage, il mériterait d’être rénové en profondeur, tant pour les agents qu’il concerne que pour les établissements qui en assurent la gestion.


Notes

[1] Rapport annuel sur l’état de la fonction publique, édition 2022, Ministère de la Transformation et de la Fonction publiques/DGAFP.

[2] Loi n° 2019-828 du 6 août 2019de transformation de la fonction publique.

[3] TA Bordeaux, 6e chambre,15/09/2023, n°2105962.

[4] Décret n°2020-1296 relatif à l’indemnité de fin de contrat dans la fonction publique.

[5] Décret n° 91-155 du 6 février 1991relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière.

[6] Article 41 du décret n° 91-155 du 6 février 1991 relatif aux dispositions générales applicables aux agents contractuels de la fonction publique hospitalière.

[7] Dans le même esprit : cour administrative d’appel de Bordeaux du 12 mars 2013, n° 12BX00045 qui indiquait que même sans respect du délai de préavis, le non renouvellement d’un CDD reste légal.

[8] Cour administrative de Lyon,13 octobre 2023, n°22LY02259.

[9] Cour administrative de Nancy,6 juin 2023, Mme B…, n° 21NC0129.