Billet d’humeur – Fiche de poste… un mauvais alibi pour le refus d’exécution d’un ordre hiérarchique ?
Brigitte de Lard-Huchet, directrice du centre de droit JuriSanté du CNEH
Amusant… nous disposons d’un code flambant neuf de la fonction publique depuis 2022. Mais celui-ci ne contient pas une seule fois la référence à la fiche de poste. Une illustration supplémentaire de ce décalage (assumé ?) entre une réalité de terrain, qui accorde une importance notable à ce document dans la gestion managériale des professionnels, et sa visibilité dans l’arsenal juridique, dans le secteur public en général, et à l’hôpital en particulier.
La fiche de poste, ne dispose-t-elle d’aucune base textuelle ? Légale, non. Réglementaire, un peu plus. Ainsi, selon l’article 2 du décret n° 2020-719 du 12 juin 2020 relatif aux conditions générales de l’appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de FPH, la convocation à l’entretien professionnel de l’agent doit être accompagnée de la fiche de poste de l’intéressé.
Autrement dit, l’agent est en droit d’attendre qu’une fiche de poste lui soit adressée, sans que le texte n’en précise ni les objectifs, ni le contenu, ni les modalités d’élaboration.
Les tribunaux n’hésitent pas à accorder une portée juridique notable à la fiche de poste :
- Un agent spécialisé peut se voir infliger une sanction pour n’avoir pas correctement réalisé des tâches relevant de sa fiche de poste, manquant ainsi à ses obligations professionnelles (CAA Bordeaux, Chambre 3, 12 Juin 2007, n° 05BX00623)
- Et sans aller jusqu’au caractère disciplinaire, le non-respect des objectifs assignés par sa fiche de poste, malgré des rappels à l’ordre de ses supérieurs hiérarchiques, peut contribuer, entre autres éléments, à attester de l’incapacité de l’agent à s’adapter aux impératifs de la fonction publique et justifier ainsi un licenciement pour insuffisance professionnelle (CAA Nancy, 5 mai 2011, n° 10NC00651, Franck A.).
Dans ces décisions, la fiche de poste agit plutôt à l’avantage de l’employeur public. Le juge serait-il réticent à admettre que l’agent puisse l’invoquer ?
Monsieur S., adjoint technique dans une communauté de communes, a refusé d’exécuter l’inventaire et le nettoyage d’un véhicule de service. Il a en conséquence fait l’objet d’une sanction disciplinaire qu’il a contestée. En appel, le juge administratif considère que : « S’il ne ressort ni de sa fiche de poste, qui expose ses missions de façon détaillée, ni d’aucune autre pièce du dossier qu’une telle tâche ferait partie de ses attributions, M. S. a toutefois méconnu l’obligation [d’obéissance hiérarchique] en refusant de se conformer aux ordres donnés par l’autorité hiérarchique. Au demeurant, ces tâches ne sont pas en contradiction manifeste avec les missions attachées à son cadre d’emplois[1]. Dans cette mesure, et contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, les faits reprochés constituent une faute disciplinaire. » (CAA Lyon, 30 avr. 2024, n° 22LY02714, Communauté de communes de Rumilly Terre de Savoie).
De cet arrêt (certes pas un arrêt de principe), on retiendra plutôt que la fiche de poste, si elle est obligatoire et opportune, ne saurait être ni exhaustive, ni suffisante à délimiter de façon précise la liste des activités et tâches susceptibles d’être confiées à l’agent. Ce qui compte, ce sera toujours, malgré la fiche de poste, l’adéquation entre la tâche ordonnée et le corps auquel appartient l’agent. Si la tâche à accomplir, sans être mentionnée dans la fiche de poste, relève toutefois de ce qu’on peut légitimement attendre de l’appartenance à un corps statutaire, son inexécution est susceptible d’engager la responsabilité disciplinaire de l’agent qui en avait la charge.
La fiche de poste serait donc l’alpha, mais pas l’oméga du périmètre de responsabilité et de compétences de l’agent ?
Notes
[1] on parle de corps dans la fonction publique hospitalière, et de cadre d’emplois dans la fonction publique territoriale.