Note de jurisprudence – Condition de moralité des Infirmiers : le rappel à l’Ordre! A propos de l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 février 2024

Catégorie : Statuts des personnels hospitaliers
Date : 06/03/2024

Céline Berthier, consultante du centre de droit JuriSanté du CNEH

La profession d’infirmier est exigeante et nécessite d’être exercée par des personnes de « bonne moralité » comme l’a rappelé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 20 février 2024[1].

Dans cette affaire, une demande d’inscription à l’Ordre des infirmiers des Alpes-Maritimes en 2018, réitérée en 2022, mais refusée au motif du défaut de la condition de moralité à laquelle les infirmiers sont soumis.

La demande émanait en effet d’une personne condamnée par le Tribunal correctionnel de Saint-Pierre-et-Miquelon en date du 10 janvier 2017 pour détention et consultation habituelle, entre 2014 et 2016, d’images de mineurs à caractère pornographique.

L’affaire sera portée par le requérant jusqu’au Conseil d’Etat demandant l’annulation de ces décisions de refus au motif que, depuis sa condamnation en 2017, son attitude était restée sans reproches et soulignant le respect de la mise à l’épreuve fixée par le juge pénal.

S’appuyant sur l’article L4311-16 du Code de la Santé Publique, le Conseil d’Etat a rejeté cette demande, rappelant « le refus de l’inscription à l’Ordre des Infirmiers si le demandeur ne remplit pas les conditions de moralité et d’indépendance exigées par la profession », condition en l’espèce non remplie au regard de la gravité et du caractère relativement récent, et par ailleurs non contestés, des faits reprochés.

Comme souligné par le Conseil d’Etat, cette obligation de « bonne » moralité est une condition sine qua non de l’exercice de la profession d’infirmier et est ainsi vérifiée par le Conseil de l’Ordre lors de l’inscription au tableau d’exercice.

Cette même obligation trouve écho lors de l’exercice de la profession d’infirmier au sein de la Fonction Publique, comme d’ailleurs tout autre agent, où l’obligation de moralité a laissé place à des obligations de dignité, d’impartialité, d’intégrité et de probité (article L121-1 du Code Général de la Fonction Publique). Ces obligations sont vérifiées lors du recrutement et doivent être respectées tout au long de l’exercice des fonctions.

C’est donc un double contrôle qui s’opère pour un infirmier dans ce cadre puisque sa moralité et sa dignité seront ainsi vérifiés par le Conseil de l’Ordre lors de sa demande d’inscription et par la puissance publique au sein de laquelle il souhaite exercer.

Quelle est la pertinence de ce double contrôle alors que désormais l’exercice de la profession d’infirmier en établissement de santé est soumis à l’inscription à l’Ordre ?

En réalité, ces deux contrôles n’obéissent pas aux mêmes objectifs et à la même temporalité : si l’Ordre vérifie la condition de moralité « initiale » de l’agent lors de sa demande d’inscription en tant que nouveau professionnel, la Fonction Publique va quant à elle apprécier, au moment du recrutement et régulièrement si besoin, la compatibilité des éventuelles mentions du casier judiciaire avec les fonctions publiques exercées.

Quel est alors le lien entre la Fonction Publique et le Conseil de l’Ordre des Infirmiers et ce besoin de communication si chacun fait ses propres vérifications ? Si l’exercice de la profession d’infirmier est conditionné à cette inscription ordinale, il appartient donc à la Fonction Publique de s’assurer auprès de celui-ci que les infirmiers recrutés ont bien répondu à cette obligation et la communication régulière de la liste des agents concernés permet d’en effectuer le contrôle.

Pour rappel, depuis le décret n° 2018-596 du 10 juillet 2018, l’embauche d’infirmiers salariés suppose :

  • L’envoi tous les 3 mois par l’employeur au Conseil National de l’Ordre, de la liste de l’ensemble des infirmiers employés,
  • La vérification par l’Ordre des infirmiers inscrits ou non et l’information à l’employeur des infirmiers non-inscrits,
  • Le cas échéant, le rappel par l’Ordre de l’obligation d’inscription.

Un infirmier non inscrit à l’Ordre ne peut pas faire jouer sa responsabilité civile professionnelle lorsqu’il exerce en libéral. En établissement public, cette non-inscription pourrait également être problématique, un infirmier restant toujours responsable de ses actes, même si le paravent juridique de la protection fonctionnelle parait plus protecteur.

Malgré cette obligation, la Cour des Comptes constatait, dans son rapport annuel de 2021, une inscription de l‘ordre de 96% des infirmiers exerçant en libéral contre 31% en établissement de santé.

Les établissements ne semblent pas inquiétés en cas de non transmission du fichier à l’ordre, le décret de 2018 ne prévoyant pas de disposition en ce sens. Quant à la sanction des infirmiers hospitaliers non-inscrits, la situation du marché du travail de cette profession rend impossible tout projet de suspension d’exercice.

Entre difficultés de visibilité et d’appropriation pour les infirmiers hospitaliers, lourdeur de la procédure pour les établissements, l’Ordre peine à trouver sa place pour une partie de ses membres.

Sa pertinence dans la vérification de la moralité des infirmiers prétendant s’y inscrire démontre, s’il en était besoin, sa légitimité.


NOTE

[1] Conseil d’Etat, 5éme chambre, 20/02/2024, N°469665, inédit au recueil Lebon

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